Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, X.djvu/187

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demnités ; le roi Charles IX, qui l’aimait, mourut sans avoir pu le récompenser ; Henri IV moyenna bien son mariage avec mademoiselle d’Espard, et lui procura les domaines de cette maison ; mais tous les biens des Nègrepelisse avaient déjà passé dans les mains des créanciers. Mon bisaïeul le marquis d’Espard fut, comme moi, mis assez jeune à la tête de ses affaires par la mort de son père, lequel après avoir dissipé la fortune de sa femme, ne lui laissa que les terres substituées de la maison d’Espard, mais grevées d’un douaire. Le jeune marquis d’Espard se trouva donc d’autant plus gêné qu’il avait une charge à la cour. Particulièrement bien vu de Louis XIV, la faveur du roi fut un brevet de fortune. Ici, monsieur, fut faite sur notre écusson une tache inconnue, horrible, une tache de boue et de sang, que je suis occupé à laver. Je découvris ce secret dans les titres relatifs à la terre de Nègrepelisse, et dans des liasses de correspondances.

En ce moment solennel, le marquis parlait sans bégaiement, il ne lui échappait aucune des répétitions qui lui étaient habituelles ; mais chacun a pu observer que les personnes qui, dans les choses ordinaires de la vie, sont affectées de ces deux défauts, s’en débarrassent au moment où quelque passion vive anime leur discours.

— La révocation de l’édit de Nantes eut lieu, reprit-il. Peut-être ignorez-vous, monsieur, que, pour beaucoup de favoris, ce fut une occasion de fortune. Louis XIV donna aux grands de sa cour les terres confisquées sur les familles protestantes qui ne se mirent pas en règle pour la vente de leurs biens. Quelques personnes en faveur allèrent, comme on disait alors, à la chasse aux protestants. J’ai acquis la certitude que la fortune actuelle de deux familles ducales se compose de terres confisquées sur de malheureux négociants. Je ne vous expliquerai point, à vous, homme de justice, les manœuvres employées pour tendre des pièges aux réfugiés qui avaient de grandes fortunes à emporter : qu’il vous suffise de savoir que la terre de Nègrepelisse composée de vingt-deux clochers et de droits sur la ville ; que celle de Gravenges, qui jadis nous avait appartenu, se trouvaient entre les mains d’une famille protestante. Mon grand-père y rentra par la donation que lui en fit Louis XIV. Cette donation reposait sur des actes marqués au coin d’une épouvantable iniquité. Le propriétaire de ces deux terres croyant pouvoir rentrer en France, avait simulé une vente et allait en Suisse rejoindre sa