Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, X.djvu/264

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fiant comme un geôlier, mais apportant son argent pour une mauvaise affaire, et tâchant alors de se rattraper par une crasse avarice. La malfaisance de cette fleur hybride ne se révélait en effet que par l’usage ; pour être éprouvée, sa nauséabonde amertume voulait la coction d’un commerce quelconque où ses intérêts se trouvaient mêlés à ceux des hommes. Comme tous les Parisiens, Molineux éprouvait un besoin de domination, il souhaitait cette part de souveraineté plus ou moins considérable exercée par chacun et même par un portier, sur plus ou moins de victimes, femme, enfant, locataire, commis, cheval, chien ou singe, auxquels on rend par ricochet les mortifications reçues dans la sphère supérieure où l’on aspire. Ce petit vieillard ennuyeux n’avait ni femme, ni enfant, ni neveu, ni nièce ; il rudoyait trop sa femme de ménage pour en faire un souffre-douleur, car elle évitait tout contact en accomplissant rigoureusement son service. Ses appétits de tyrannie étaient donc trompés ; pour les satisfaire, il avait patiemment étudié les lois sur le contrat de louage et sur le mur mitoyen ; il avait approfondi la jurisprudence qui régit les maisons à Paris dans les infiniment petits des tenants, aboutissants, servitudes, impôts, charges, balayages, tentures à la Fête-Dieu, tuyaux de descente, éclairage, saillies sur la voie publique, et voisinage d’établissements insalubres. Ses moyens et son activité, tout son esprit passait à maintenir son état de propriétaire au grand complet de guerre ; il en avait fait un amusement, et son amusement tournait en monomanie. Il aimait à protéger les citoyens contre les envahissements de l’illégalité ; mais les sujets de plainte étaient rares, sa passion avait donc fini par embrasser ses locataires. Un locataire devenait son ennemi, son inférieur, son sujet, son feudataire ; il croyait avoir droit à ses respects, et regardait comme un homme grossier celui qui passait sans rien dire auprès de lui dans les escaliers. Il écrivait lui-même ses quittances, et les envoyait à midi le jour de l’échéance. Le contribuable en retard recevait un commandement à heure fixe. Puis la saisie, les frais, toute la cavalerie judiciaire allait aussitôt, avec la rapidité de ce que l’exécuteur des hautes œuvres appelle la mécanique. Molineux n’accordait ni terme, ni délai, son cœur avait un calus à l’endroit du loyer.

— Je vous prêterai de l’argent si vous en avez besoin, disait-il à un homme solvable, mais payez-moi mon loyer, tout retard entraîne une perte d’intérêts dont la loi ne nous indemnise pas.