Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, X.djvu/332

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selle de Fontaine, qui s’étaient promis une joie infinie de ce bal de parfumeur, se dessinaient-elles sur toute la bourgeoisie par leurs grâces molles, par le goût exquis de leurs toilettes et par leur jeu, comme trois premiers sujets de l’Opéra se détachent sur la lourde cavalerie des comparses. Elles étaient observées d’un œil hébété, jaloux. Madame Roguin, Constance et Césarine formaient comme un lien qui rattachait les figures commerciales à ces trois types du grand monde. Comme dans tous les bals, il vint un moment d’animation où les torrents de lumière, la joie, la musique et l’entrain de la danse causèrent une ivresse qui fit disparaître ces nuances dans le crescendo du tutti. Le bal allait devenir bruyant, mademoiselle de Fontaine voulut se retirer ; mais quand elle chercha le bras du vénérable Vendéen, Birotteau, sa femme et sa fille accoururent pour empêcher la désertion de toute l’aristocratie de leur assemblée.

— Il y a dans cet appartement un parfum de bon goût qui vraiment m’étonne, dit l’impertinente fille au parfumeur, et je vous en fais mon compliment.

Birotteau était si bien enivré par les félicitations publiques qu’il ne comprit pas ; mais sa femme rougit et ne sut que répondre.

— Voilà une fête nationale qui vous honore, lui disait le royaliste monsieur Camusot, le marchand de soieries de la rue des Bourdonnais.

— J’ai vu rarement un si beau bal, disait monsieur de La Billardière, à qui un mensonge officieux ne coûtait rien.

Birotteau prenait tous les compliments au sérieux.

— Quel ravissant coup d’œil ! et le bon orchestre ! Nous donnerez-vous souvent des bals ? lui disait madame Lebas.

— Quel charmant appartement ! c’est de votre goût ? lui disait madame Desmarets.

Birotteau osa mentir en lui laissant croire qu’il en était l’ordonnateur. Césarine, qui devait être invitée pour toutes les contredanses, connut combien il y avait de délicatesse chez Anselme.

— Si je n’écoutais que mon désir, lui dit-il à l’oreille en sortant de table, je vous prierais de me faire la faveur d’une contredanse ; mais mon bonheur coûterait trop cher à notre mutuel amour-propre.

Césarine, qui trouvait que les hommes marchaient sans grâce quand ils étaient droits sur leurs jambes, voulut ouvrir le bal avec