Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, X.djvu/382

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— Je suis bien heureux, dit Popinot. Si vous voulez m’ôter toute crainte, dans un an je serai si riche que votre père ne me recevra plus si mal quand je lui parlerai de notre mariage. Je ne vais plus dormir que cinq heures par nuit…

— Ne vous faites pas mal, dit Césarine avec un accent inimitable en jetant à Popinot un regard où se lisait toute sa pensée.

— Ma femme, dit César en sortant de table, je crois que ces jeunes gens s’aiment.

— Eh ! bien, tant mieux, dit Constance d’un son de voix grave, ma fille serait la femme d’un homme de tête et plein d’énergie. Le talent est la plus belle dot d’un prétendu.

Elle se hâta de quitter le salon et d’aller dans la chambre de madame Ragon. César avait dit pendant le dîner quelques phrases qui avaient fait sourire Pillerault et le juge, tant elles accusaient d’ignorance, et qui rappelèrent à cette malheureuse femme combien son pauvre mari se trouvait peu de force à lutter contre le malheur. Constance avait des larmes sur le cœur, elle se défiait instinctivement de du Tillet, car toutes les mères savent le Timeo Danaos et dona ferentes, sans savoir le latin. Elle pleura dans les bras de sa fille et de madame Ragon sans vouloir avouer la cause de sa peine.

— C’est nerveux, dit-elle.

Le reste de la soirée fut donné aux cartes par les vieilles gens, et par les jeunes à ces délicieux petits jeux dits innocents, parce qu’ils couvrent les innocentes malices des amours bourgeois. Les Matifat se mêlèrent des petits jeux.

— César, dit Constance en revenant, va dès le trois chez monsieur le baron de Nucingen, afin d’être sûr de ton échéance du quinze long-temps à l’avance. S’il arrivait quelque anicroche, est-ce du jour au lendemain que tu trouverais des ressources ?

— J’irai, ma femme, répondit César qui serra la main de Constance et celle de sa fille en ajoutant : Mes chères biches blanches, je vous ai donné de tristes étrennes !

Dans l’obscurité du fiacre, ces deux femmes, qui ne pouvaient voir le pauvre parfumeur, sentirent des larmes tombées chaudes sur leurs mains.

— Espère, mon ami, dit Constance.

— Tout ira bien, papa, monsieur Anselme Popinot m’a dit qu’il verserait son sang pour toi.