Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, X.djvu/91

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ne chuis pas achez riche pour me marier. Vous n’êtes pas non plus fertile en parents, ni garni de che qui che compte ? Écoutez, j’ai en bas une charrette à bras que j’ai louée à deux chous l’heure, toutes nos affaires peuvent y tenir ; si vous voulez, nous chercherons à nous loger de compagnie, puisque nous chommes chassés d’ici. Che n’est pas après tout le paradis terrestre. — Je le sais bien, lui dis-je, mon brave Bourgeat. Mais je suis bien embarrassé, j’ai en bas une malle qui contient pour cent écus de linge, avec lequel je pourrais payer le propriétaire et ce que je dois au portier, et je n’ai pas cent sous. — Bah ! j’ai quelques monnerons, me répondit joyeusement Bourgeat en me montrant une vieille bourse en cuir crasseux. Gardez vostre linge. » Bourgeat paya mes trois termes, le sien, et solda le portier. Puis, il mit nos meubles, mon linge dans sa charrette, et la traîna par les rues en s’arrêtant devant chaque maison où pendait un écriteau. Moi, je montais pour aller voir si le local à louer pouvait nous convenir. À midi nous errions encore dans le quartier latin sans y avoir rien trouvé. Le prix était un grand obstacle. Bourgeat me proposa de déjeuner chez un marchand de vin, à la porte duquel nous laissâmes la charrette. Vers le soir, je découvris dans la cour de Rohan, passage du Commerce, en haut d’une maison, sous les toits, deux chambres séparées par l’escalier. Nous eûmes chacun pour soixante francs de loyer par an. Nous voilà casés, moi et mon humble ami. Nous dînâmes ensemble. Bourgeat, qui gagnait environ cinquante sous par jour, possédait environ cent écus, il allait bientôt pouvoir réaliser son ambition en achetant un tonneau et un cheval. En apprenant ma situation, car il me tira mes secrets avec une profondeur matoise et une bonhomie dont le souvenir me remue encore aujourd’hui le cœur, il renonça pour quelque temps à l’ambition de toute sa vie : Bourgeat était marchand à la voie depuis vingt-deux ans, il sacrifia ses cent écus à mon avenir.

Ici Desplein serra violemment le bras de Bianchon.

— Il me donna l’argent nécessaire à mes examens ! Cet homme, mon ami, comprit que j’avais une mission, que les besoins de mon intelligence passaient avant les siens. Il s’occupa de moi, il m’appelait son petit, il me prêta l’argent nécessaire à mes achats de livres, il venait quelquefois tout doucement me voir travaillant ; enfin il prit des précautions maternelles pour que je substituasse à la nourriture insuffisante et mauvaise à laquelle j’étais condamné,