Page:Œuvres complètes de H. de Balzac (éd. M. Levy), tome 20, 1870.djvu/623

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l’un de thé, l’autre de café, l’autre de chocolat, sans y joindre aucun autre aliment de quelque nature que ce fût, ni boire d’autres liquides. Les drôles ont accepté. Peut-être tout condamné en eût-il fait autant. Comme chaque aliment offrait plus ou moins de chances, ils ont tiré le choix au sort.

L’homme qui a vécu de chocolat est mort après huit mois.

L’homme qui a vécu de café a duré deux ans.

L’homme qui a vécu de thé n’a succombé qu’après trois ans.

Je soupçonne la Compagnie des Indes d’avoir sollicité l’expérience dans l’intérêt de son commerce.

L’homme au chocolat est mort dans un effroyable état de pourriture, dévoré par les vers. Ses membres sont tombés un à un, comme ceux de la monarchie espagnole.

L’homme au café est mort brûlé, comme si le feu de Gomorrhe l’eût calciné. On aurait pu en faire de la chaux. On l’a proposé, mais l’expérience a paru contraire à l’immortalité de l’âme.

L’homme au thé est devenu maigre et quasi diaphane, il est mort de consomption, à l’état de lanterne ; on voyait clair à travers son corps ; un philanthrope a pu lire le Times, une lumière ayant été placée derrière le corps. La décence anglaise n’a pas permis un essai plus original.

Je ne puis m’empêcher de faire observer combien il est philanthropique d’utiliser le condamné à mort au lieu de le guillotiner brutalement. On emploie déjà l’adipocire des amphithéâtres à faire de la bougie, nous ne devons pas nous arrêter en si beau chemin. Que les condamnés soient donc livrés aux savants au lieu d’être livrés au bourreau.

Une autre expérience a été faite en France, relativement au sucre.

M. Magendie a nourri des chiens exclusivement de sucre ; les affreux résultats de son expérience ont été publiés, ainsi que le genre de mort de ces intéressants amis de l’homme, dont ils partagent les vices (les chiens sont joueurs) ; mais ces résultats ne prouvent encore rien par rapport à nous.