Page:Œuvres complètes de H. de Balzac (éd. M. Levy), tome 20, 1870.djvu/631

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Enfin, j’ai découvert une horrible et cruelle méthode, que je ne conseille qu’aux hommes d’une excessive vigueur, à cheveux noir et durs, à peau mélangée d’ocre et de vermillon, à mains carrées, à jambes en forme de balustres comme ceux de la place Louis XV. Il s’agit de l’emploi du café moulu, foulé, froid et anhydre (mot chimique qui signifie peu d’eau ou sans eau) pris à jeun. Ce café tombe dans votre estomac, qui, vous le savez par Brillat-Savarin, est un sac velouté à l’intérieur et tapissé de suçoirs et de papilles ; il n’y trouve rien, il s’attaque à cette délicate et voluptueuse doublure, il devient une sorte d’aliment qui veut ses sucs ; il les tord, il les sollicite comme une pythonisse appelle son dieu, il malmène ces jolies parois comme un charretier qui brutalise de jeunes chevaux ; les plexus s’enflamment, ils flambent et font aller leurs étincelles jusqu’au cerveau. Dès lors, tout s’agite : les idées s’ébranlent comme les bataillons de la grande armée sur le terrain d’une bataille, et la bataille a lieu. Les souvenirs arrivent au pas de charge, enseignes déployées ; la cavalerie légère des comparaisons se développe par un magnifique galop ; l’artillerie de la logique accourt avec son train et ses gargousses ; les traits d’esprit arrivent en tirailleurs ; les figures se dressent ; le papier se couvre d’encre, car la veille commence et finit par des torrents d’eau noire, comme la bataille par sa poudre noire. J’ai conseillé ce breuvage ainsi pris à un de mes amis qui voulait absolument faire un travail promis pour le lendemain : il s’est cru empoisonné, il s’est recouché, il a gardé le lit comme une mariée. Il était grand, blond, cheveux rares ; un estomac de papier mâché, mince. Il y avait de ma part manque d’observation.

Quand vous en êtes arrivé au café pris à jeun avec les émulsions superlatives, et que vous l’avez épuisé, si vous vous avisiez de continuer, vous tomberiez dans d’horribles sueurs, des faiblesses nerveuses, des somnolences. Je ne sais pas ce qui arriverait : la sage nature m’a conseillé de m’abstenir, attendu que je ne suis pas condamné à une mort immédiate. On doit se mettre alors aux préparations lactées, au régime du poulet et des viandes blanches ; enfin détendre la harpe, et rentrer dans la vie flâneuse, voyageuse, niaise et cryptogamique des bourgeois retirés.

L’état où vous met le café pris à jeun dans les conditions ma-