Page:Œuvres complètes de Maximilien de Robespierre, tome 1.djvu/68

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la vérité, mais l’éclat des distinctions extérieures qui détermine l’estime de la multitude. Voyez comme par-tout elle considère la vertu moins que les talens, les talents moins que la grandeur et l’opulence ; voyez comme le peuple se méprise toujours lui-même, à proportion du mépris qu’on a pour lui : c’est par ce principe que le préjugé trouve dans l’usage dont je viens de parler, de puissantes ressources pour opprimer cette partie de la Nation, qui reste en butte à ses injustices, et pour faire retomber en elle tout le déshonneur dont l’autre s’affranchit.

Que devons nous faire pour, remédier à de tels inconvéniens ? Si j’entreprends de l’indiquer, ce n’est pas que je veuille porter une main profane sur l’édifice sacré de nos Lois ; je sais qu’il n’appartient qu’aux Chefs de la législation, de peser dans leur sagesse les avantages ou les inconvéniens des Loix ; et que le ministere de l’Écrivain philosophe se borne à diriger l’opinion publique. C’est donc à elle seule que je m’adresse, quand je désire de voir étendu à toutes les classes de la Société, le genre de peines jusque ici réservé pour les grands. Je préfère ce parti à celui d’étendre aux grands les châtimens affectés aux autres citoyens, non seulement parce qu’il est plus doux, plus humain et plus équitable, mais aussi parce qu’il nous fourniroit encore un moyen plus directe d’affoiblir le préjugé.

Tout ce que nous venons de dire, fait voir que la honte de ce préjugé n’est pas seulement, attachée au supplice, mais à la forme même du supplice, et comme l’imagination des peuples est accoutumée de prêter à celle que je propose de rendre générale une sorte d’éclat, et d’en séparer l’idée du déshonneur des familles, la transporter à la bourgeoisie me paroit être un moyen naturel de donner le change au préjugé, et de tourner contre lui les choses mêmes qui ont favorisé ses progrès. Le mal dont nous parlons étant l’ouvrage du caprice et de l’imagination, ce seroit peut-être un grand art que de lui opposer un remède puisé dans ces mêmes principes ; car ce n’est pas toujours sur la gravité des mesures que l’on prend pour déraciner un abus, qu’il faut fonder le succès d’une pareille entreprise, mais sur leurs rapports avec la disposition des esprits qui l’a fait naître et qui la perpétue.

Tous les moyens que je viens d’indiquer, ne peuvent manquer, ce me semble, d’affoiblir au moins le préjugé ; mais il en est un puissant, irrésistible, qui suffiroit seul pour l’anéantir : et ce