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Séance du 8 thermidor An II

que le peuple consentît à souffrir la tyrannie, soit qu’il en secouât violemment le joug, la liberté était également perdue ; car par sa réaction il eût blessé à mort la République, et par sa patience il s’en serait rendu indigne. Aussi, de tous les prodiges de notre révolution, celui que notre postérité concevra le moins, c’est que nous ayons pu échapper à ce danger. Grâces immortelles vous soient rendues ! Vous avez sauvé la patrie ; votre décret du… [1] est lui seul une révolution ; vous avez frappé du même coup l’athéisme et le despotisme sacerdotal ; vous avez avancé d’un demi-siècle l’heure fatale des tyrans ; vous avez rattaché à la cause de la Révolution tous les cœurs purs et généreux ; vous l’avez montrée au monde dans tout l’éclat de sa beauté céleste. O jour à jamais fortuné, où le peuple français tout entier s’éleva pour rendre à l’auteur de la nature le seul hommage digne de lui ! Quel touchant assemblage de tous les objets qui peuvent enchanter les regards et le cœur des hommes ! vieillesse honorée ! généreuse ardeur des enfants de la patrie ! joie naïve et pure des jeunes citoyens ! larmes délicieuses des mères attendries ! O charme divin de l’innocence et de la beauté ! majesté d’un grand peuple heureux par le seul sentiment de sa force, de sa gloire et de sa vertu ! Etre des êtres ! le jour où l’univers sortit de tes mains toutes puissantes brilla-t-il d’une lumière plus agréable à tes yeux que ce jour où, brisant le joug du crime et de l’erreur, il parut devant toi digne de tes regards et de ses destinées ?

Ce jour avait laissé sur la France une impression profonde de calme, de bonheur, de sagesse et de bonté. A la vue de cette réunion sublime du premier peuple du monde, qui aurait cru que le crime existait encore sur la terre[2] ? Mais quand le peuple, en présence duquel tous les vices privés disparaissent, est rentré dans ses foyers domestiques, les intrigants reparaissent et le rôle des charlatans recommence. C’est depuis cette époque qu’on les a vus s’agiter avec une nouvelle audace et chercher à punir tous ceux qui avaient déconcerté le plus dangereux de tous les complots. Croirait-on qu’au sein de l’allégresse publique des hommes aient répondu par des signes de fureur aux touchantes acclamations du peuple ? Croira-t-on que le président de la Convention nationale, parlant au peuple assemblé, fut insulté par eux, et que ces hommes étaient des représentants du

  1. En blanc dans le texte. Il s’agit du décret 18 floréal.
  2. Lignes raturées : « Quel homme n’a pas été pénétré du charme touchant qu’il portait dans tous les cœurs ? Quel est le représentant du peuple qui dans ce moment n’a pas cru recueillir la plus douce récompense de son dévoûment à la patrie ? Quiconque aurait vu ce spectacle avec des yeux secs ou une âme indifférente est un monstre. Le silence du sentiment imprimait plus éloquemment que les discours les émotions douces et profondes dont tous les cœurs étaient remplis, et ce cri échappait de tous les cœurs, que quiconque avait vu ce grand spectacle pouvait quitter la vie sans regret. » (Note orig.)