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NOUVEL ORGANUM.

agréables que les narrations simplement historiques, parce que, tous les objets qu’elles représentent sur la scène, elles les font paraître tels qu’on souhaiterait qu’ils fussent.

En général, quand il s’agit de rassembler des matériaux pour la philosophie, ou il y a peu à prendre on prend beaucoup, et où il y aurait beaucoup à prendre si l’on voulait on prend fort peu, en sorte que, soit qu’on prenne d’une part ou de l’autre, le corps d’expérience et d’histoire naturelle sur lequel on veut asseoir la philosophie forme une base trop étroite. La tourbe des philosophes rationnels se contente d’effleurer l’expérience, puisant ça et quelques observations triviales sans avoir pris la peine de les constater, de les analyser, de les peser ; puis ils s’imaginent qu’il ne leur reste plus autre chose à faire qu’à tourner leur esprit dans tous les sens et à rêver à l’aventure.

Il est une autre espèce de philosophes qui, s’attachant à un petit nombre d’expériences, n’y ont à la vérité épargné ni temps ni soins, mais ils ont osé entreprendre de former, avec ce peu de matériaux, des théories complètes, tordant tout le reste avec un art merveilleux et le ramenant à ce peu qu’ils savaient

Vient enfin la troisième classe ce sont ceux qui mêlent dans leur physique la théologie et les traditions consacrées par la foi et par la vénération publique, il en est même qui ont porté l’extravagance jusqu’au point de vouloir tirer les sciences directement des esprits et des génies. En sorte que la tige des erreurs et de la fausse philosophie se partage en trois branches, savoir la branche sophistique, l’empirique et la superstitieuse

LXIII. Cherchons-nous un exemple de la première espèce, nous en trouvons un très-frappant dans Aristote, qui a corrompu sa philosophie naturelle par sa dialectique. Ne l’a-t-on pas vu bâtir un monde avec ses catégories, expliquer l’origine de l’âme humaine (cette substance de si noble extraction) par les mots de seconde intention, trancher de même la question qui a pour objet le dense et le rare (c’est-à-dire les deux qualités en vertu desquelles un corps prend de plus grandes ou de plus petites dimensions), et se tirer d’affaire par cette froide distinction de l’acte et de la puissance, soutenir qu’il y a dans chaque corps un mouvement propre et unique, et que s’il participe de quelque autre mouvement, ce dernier est produit par une cause extérieure, assertions auxquelles il en joint une infinité d’autres, imposante la nature même ses opinions comme autant de lois, et plus jaloux, en toute question, d’imaginer des moyens pour n’être jamais court et alléguer toujours quelque chose de positif, du moins en paroles, que