Page:Œuvres de Bacon, II.djvu/255

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ESSAIS DE MORALE ET DE POLITIQUE. il n’est pas encore temps, et quand on est vieux il n’est plus temps. »

On observe trop souvent que les pires maris sont ceux qui ont les meilleures femmes, soit que le caractère habituellement difficile de leurs époux donne plus de prix aux complaisances et aux bonnes manières qu’ils ont de temps en temps pour elles, soit qu’elles fassent gloire de leur patience même ; et c’est ce qui arrive surtout lorsque ce mari devenu si insupportable est de leur propre choix, et qu’elles l’ont pris contre l’avis de leurs parents: car alors elles veulent justifier leur folie, et n’en avoir pas le démenti.

IX. — De l’envie.

De toutes les affections de l’âme, les deux seules auxquelles on attribue ordinairement le pouvoir de fasciner et d’ensorceler sont l’amour et l’envie. Ces deux passions ont également pour principe de violents désirs ; elles enfantent toutes deux une infinité d’opinions fantastiques et de suggestions extravagantes. L’une et l’autre agissent par les yeux et viennent s’y peindre ; toutes circonstances qui peuvent contribuer à la fascination, si les effets de ce genre ont quelque réalité. Nous voyons aussi que l’Écriture-Sainte appelle l’envie un œil malfaisant, et que les astrologues qualifient de mauvais aspects les malignes influences des astres. Ainsi c’est un point accordé que, dans l'instant où l’envie produit ses pernicieux effets, c’est par les yeux qu’elle agit et par une sorte d’éjaculation ou d’irradiation. On a même poussé les observations de ce genre au point de remarquer que les moments où les coups que porte l’œil d’un envieux sont les plus funestes, sont ceux où la personne enviée triomphe dans le sentiment trop vif de sa propre gloire ; ce qui aiguise , en quelque manière, les traits de l’envie ; sans compter que dans cet état d’expansion de la personne enviée, ses esprits, se portant davantage au dehors, vont pour ainsi dire au-devant du coup que l’envieux leur destine.

Mais, quoique ces observations si subtiles méritent qu’on leur donne quelque place dans le traité auquel elles appartiennent naturellement, nous les abandonnerons pour le moment, et nous tâcherons de résoudre d’une manière satisfaisante les trois questions suivantes : 1° quelles sont les personnes les plus disposées à envier les autres ? 2° quels sont les individus les plus à l’envie des autres ? 3° quelle différence doit-on mettre entre l’envie publique et l’envie particulière ? Un homme sans mérite envie toujours celui des autres, car l’âme humaine se nourrit ou de son propre bien ou du mal d’au-