Page:Œuvres de Bacon, II.djvu/269

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morose, revêche, difficile, contrariant, agressif, malicieux, mais le plus marqué se décèle par l’envie et dégénère en méchanceté proprement dite. Les hommes de ce caractère se réjouissent des disgrâces et des fautes d’autrui ; c’est pour eux une sorte de fête, et ils ne manquent guère de les aggraver. Ils cherchent les malheureux dont le cœur est blessé, non comme ces chiens qui léchaient les plaies de Lazare, mais plutôt comme les mouches qui s’attachent aux parties excoriées et qui enveniment les plaies. Ce sont de vrais misanthropes qui, sans avoir dans leur jardin un arbre aussi commode que celui qu’offrait aux Athéniens certain philosophe atrabilaire, voudraient néanmoins mener pendre tous les hommes. C’est pourtant de ce bois même que se font les grandes politiques, car les hommes de cette trempe peuvent être comparés a ces bois courbes qui sont bons pour faire des vaisseaux, destinés à être violemment agités mais qui ne valent rien pour la construction des maisons qui doivent rester immobiles.

La bonté se manifeste par différentes espèces d’effets et de signes qui lui sont propres et qui la caractérisent. Par exemple, un homme civil, gracieux et empressé pour les étrangers annonce par cette conduite qu’il se croit citoyen du monde entier, que son cœur n'est point une sorte d’île séparée de toute autre terre, mais un continent qui tient à tous les autres. S’il est plein de commisération pour les infortunés, il montre que son cœur est semblable à cet arbre si précieux qui donne le baume à ceux qui le blessent. S’il pardonne aisément les offenses, c’est une preuve que son âme est tellement élevée au-dessus des injures que les traits de la malignité ne peuvent y atteindre. S’il est sensible aux plus légers services, cette délicatesse prouve qu’il regarde plutôt aux intentions des hommes qu’à leurs mains ou à leur bourse. Si enfin il s’élève au degré sublime de charité de Saint Paul, qui souhaitait d’être anathématisé en Jésus-Christ pour assurer le salut de ses frères, cet héroïque désir annonce en lui une nature toute divine et une espèce de conformité avec Jésus-Christ.

XIV. — De la noblesse

En traitant de la noblesse, nous l’envisagerons d’abord comme faisant partie d’un État, puis comme un certain genre de distinction entre les particuliers, et comme la condition d’une certaine classe de citoyens. Une monarchie où n’y a point de noblesse est un pur despotisme, une tyrannie absolue de ce genre est celle des Turcs. La noblesse tempère, délaie, pour ainsi dire, le pouvoir souverain, et détourne un peu de la famille royale les regards du