Page:Œuvres de Bacon, II.djvu/281

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gnammité, et tout ce qui peut élever la nature humaine. En effet, voyez combien un chien même a de courage et de générosité lorsqu’il se sent soutenu de son maître qui lui tient lieu d’une divinité et d’une nature supérieure, courage que certainement il n’aurait point sans cette confiance que lui inspire la présence et l’appui d’une nature meilleure que la sienne. C’est ainsi que l’homme qui se sent assuré de la protection de la divinité, et qui repose pour ainsi dire sur le sein de la divine Providence, tire de cette opinion et du sentiment qui en dérive une vigueur et une confiance à laquelle la nature humaine abandonnée à elle-même ne saurait atteindre. Ainsi l’athéisme, déjà odieux à mille égards, l’est surtout en ce qu’il prive la nature humaine du plus puissant moyen qu’elle ait pour s’élever au-dessus de sa faiblesse naturelle. Or il en est à cet égard des nations comme des individus, jamais nation n’a égale le peuple romain pour l’élévation des sentiments et la magnanimité. Écoutez Cicéron lui-même montrant la véritable source de cette grandeur d’âme

« Quoique nous soyons quelquefois un peu trop amoureux de nos institutions et de nous-mêmes, ô pères conscrits ! cependant, quelque haute idée que le peuple romain puisse avoir de sa supériorité naturelle, comme il ne l’emportait ni sur les Espagnols par le nombre, ni sur les Gaulois par la hauteur de la stature et la force du corps, ni sur les Carthaginois par la ruse, ni sur les Grecs par les sciences, les lettres et les arts, ni enfin sur les Latins et les Italiens par cet amour inné de la liberté qui semble être le caractère distinctif, l’instinct et comme l’âme de tous les habitants de cette contrée ; s’il a vaincu et surpassé en tant de choses toutes les nations connues, ce n’est donc point à ces qualités particulières qu’il a dû ses victoires et cet ascendant, mais à la seule piété, à la seule religion, à cette seule espèce de science et de sagesse qui consiste à penser et à sentir que l’univers entier est mu et gouverné par l’intelligence et la volonté suprême des dieux immortels ».

XVII — De la superstition.

Il vaut mieux n’avoir aucune idée de Dieu que d’en avoir une indigne de lui, l’un n’étant qu’ignorance ou incrédulité, au lieu que l’autre est une injure et une impiété, car on peut dire avec fondement que la superstition est injurieuse à la divinité « Certes, dit le judicieux Plutarque, j’aimerais mieux qu’on dît que Plutarque n’existe point, que d’entendre dire qu’il existe un certain homme, appelé Plutarque, qui mange tous ses enfants aussitôt après