Page:Œuvres de Bacon, II.djvu/401

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donnent, soit pour ceux qui les suivent, ils rappellent ces ministres disgraciés et les emploient dans les occasions ou ils croient avoir besoin d’exacteurs impitoyables et de sevores exécuteurs de leurs volontés Ces derniers, qui sont cruels de leur nature et de plus aigris par le souvenir de leur disgrâce, ne manquent pas d’expculer de tels ordres avec tout le zèle et toute la diligence possibles, mais comme ils manquent ordinairement de prudence et se hâtent trop d’exercer ce dangereux office pour se remettre en faveur tôt ou tard, excites par la connaissance qu’ils ont des intentions du pnnce, mais sans avoir reçu des ordres précis à ce sujet, ils se rendent coupables de quelque barbare exécution qui excite l’indignation universelle Alors les princes, pour décliner l’odieux attache a de telles actions, le rejettent sur ces ministres, les abandonnent tout a fait, et les laissent ainsi exposés au ressentiment, aux délations et a la vengeance des parents ou des amis de ceux contre lesquels ils ont exerce leur cruauté Enfin ils les livrent a la haine publique ; et alors tout le peuple applaudissant, par de bruyantes acclamations, a la conduite du prince, qui semble n’avoir d’autre but que celui de faire justice, et faisant nulle vœux pour sa prospérité, ces ministres de terreur subissent, quoiqu’un peu tard, la peine qu’ils ont méritée

IV — Narcisse, ou l'homme amoureux de lui-même.

Narcisse, suivant les poètes, devint célébre par ses grâces et sa beauté, mais l’éclat de ses avantages extérieurs était terni par de continuels dédains et par un orgueil insupportable. Ainsi, n’aimant que lui-même, il menait une vie solitaire, parcourant les forêts et ne s’adonnant qu’à la chasse avec un fort petit nombre de compagnons auxquels il tenait lieu de tout. La nymphe Écho le suivait aussi en tous lieux. Un jour, las de la chasse et poussé par sa destinée, il vint se reposer, vers le milieu du jour, près d’une fontaine dont les eaux étaient claires et limpides, y ayant aperçu sa propre image, il ne se lassait point de la considérer, et il en devint tellement amoureux que, forcé de tenir ses regards fixés sur cet objet si cher, il s’affaiblit peu à peu et tomba dans un mortel engourdissement. Après sa mort, les dieux le métamorphosèrent en cette fleur qui porte son nom, qui paraît s’épanouir au commencement du printemps et qui est consacrée aux dieux infernaux, tels que Pluton, Proserpine et les Eumenides.

Cette fable paraît avoir pour objet le tour d’esprit de ces individus qui, infatués de leur beauté ou de quelque autre avantage qu’ils doivent à la seule nature et non à leur propre industrie, s'ai-