Page:Œuvres de Bacon, II.djvu/409

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ORPHEE

champs ensemencés, des arbres plantés ; travaux élégamment figurés par ces arbres et ces pierres qui viennent se poser et se ranger avec ordre autour d’Orphée. C’est encore avec beaucoup de jugement et de méthode que l'inventeur de cette fable suppose que les philosophes ne se sont occupés de la formation ou de la conservation des sociétés humaines qu’après avoir entrepris de restaurer entièrement ou de rajeunir un corps mortel, et avoir enfin manqué tout à fait le but ; car c’est une considération plus sérieuse et un sentiment plus profond de l’inévitable nécessité de mourir qui excite les hommes à aspirer avec tant d’ardeur à un autre genre d’éternité, en éternisant leur nom par des actions, des productions ou des services qui laissent un long souvenir. C’est encore avec fondement que le poète feint qu’Orphée, après avoir sans retour perdu son épouse, eut de l’aversion pour les femmes et le mariage : car les douceurs du mariage et les tendres sollicitudes attachées à la paternité sont autant d'obstacles qui détournent les hommes des hautes entreprises, et les empêchent de rendre à leur patrie ces services mémorables dont nous venons de parler ; parce qu’alors, contents de se perpétuer par leur race et leur postérité, ils sont moins jaloux de s’immortaliser par de grandes actions. Cependant, quoique les œuvres de la sagesse politique tiennent le premier rang parmi les choses humaines, leurs effets ne s’étendent que sur certaines contrées ; ils n’ont qu’une durée limitée, et, la période où leur influence est circonscrite une fois révolue, tout s’efface pour jamais ; car après que les empires, soit royaumes, soit républiques, ont fleuri et prospéré pendant un certain temps, la paix y est troublée par des révoltes, des séditions, des guerres ; au bruit des armes les lois se taisent, et, les hommes retournant à leurs inclinations dépravées, les champs sont ravagés et les villes renversées. Peu de temps après, si ces fureurs sont de quelque durée, les lettres mêmes et la philosophie sont tellement déchirées qu’il n’en reste plus que quelques fragments dispersés comme les débris d’un naufrage, et où se trouvent quelques planches sur lesquelles se sauvent un petit nombre de vérités précieuses ; et alors règne l’ignorance avec la barbarie, l’Hélicon dérobant ses eaux à la lumière et coulant sous terre. Cependant, en conséquence de la vicissitude naturelle des choses humaines, au bout d’un certain temps ces eaux se font jour encore à la surface et y coulent de nouveau, mais dans d’autres lieux et pour d’autres nations.

X. —Le Ciel, ou les origines.

Le Ciel, au rapport des poètes, était le plus ancien des dieux ;