Page:Œuvres de Bacon, II.djvu/423

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peuvent faire que leur utilité semble se réduire à rien. Les productions nuisibles des arts et les arts eux-mêmes, lorsqu’ils sont pernicieux de leur nature, sont exposés aux poursuites de Minos, c’est-à-dire à l’animadversion des lois, qui les condamnent, les punissent et les interdisent au peuple. Cependant en dépit de toute la vigilance du gouvernement, ils trouvent toujours moyen de se cacher et de se fixer dans les lieux mêmes d’où l’on veut les bannir ; ils trouvent partout une retraite et un asile. C’est ce que Tacite lui-même observe très-judicieusement sur un sujet trés-analogue à celui-ci, je veux dire sur les mathématiciens et les tireurs d’horoscopes : « Classe d’hommes, dit-il, qu’on voudra sans cesse chasser de notre ville, et qui y restera toujours. » Cependant les arts pernicieux ou frivoles de toute espèce, qui font toujours de magnifiques promesses, ne tenant presque jamais parole, se décréditent tôt ou tard, en conséquence de leur étalage même ; et, s’il faut dire la vérité tout entière sur ce sujet, le frein des lois serait toujours insuffisant pour les réprimer, si la vanité même de ces charlatans ne désabusait tôt ou tard le vulgaire auquel ils ont d’abord fait illusion.

XVIII. — Erichthon, ou l’imposture.

Les poètes feignent que Vulcain, élanj amoureux de Minerve, tenta d’abord de la séduire, mais qu’ensuite, emporté par la force, de sa passion, il voulut lui faire violence. et que, dans cette lutte même, il répandit sa semence sur la terre ; ce qui donna naissance à Erichthon, enfant d’une forme extraordinaire : ses parties supé-. rieures étaient d’une grande beauté ; mais ses cuisses ou ses jambes, extrêmement menues, avaient la forme d’une anguille ou d’un serpent. Honteux de cette difformité et voulant en dérober la connaissance à tout le monde, il introduisit l’usage des chars ; moyen qui, en effet, laissait voir ce qu’il avait de plus beau en cachant ce qu’il avait de difforme.

Voici le sens de cette fable étrange et aussi monstrueuse que son sujet. Lorsque l’art, qui est ici représenté par le personnage de, Vulcain (à cause de ce nombre infini d’opérations utiles qu’on no peut faire que par le moyen du feu), fait pour ainsi dire violenco à la nature (figurée dans celle fable par Minerve, à cause de l’intelligence qu’exigent ces opérations), rarement, dis-je, les efforts qu’il fait pour la vaincre et la dompter sont couronnés par le succès, et il n’atteint presque jamais son but principal. Mais, à force d’essais et de tentatives (qu’on peut regarder comme une sorte de lutte), il parvient enfin à opérer quelques générations imparfaites