Page:Œuvres de Bacon, II.djvu/48

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

figure, on les taille et même on les déguise, de manière que, lorsque ensuite on vient à les produire en public, il semble qu’il n’y manque plus rien, et que l’auteur ait été jusqu’au bout. À en juger par leurs méthodes et leurs fastueuses divisions, on serait porté à croire que l’auteur a en effet embrassé tout ce qui pouvait faire partie du sujet, et qu’il ne reste plus rien à dire après lui ; et quoique tous ces membres de division soient mal remplis et comme autant de bourses vides, néanmoins, au jugement des esprits vulgaires, le tout a la forme et le tour d’une science complète. Les premiers, les plus anciens philosophes, qui s’attachaient aussi à la recherche de la vérité, travaillaient de meilleure foi et sous de plus heureux auspices. Les connaissances qu’ils avaient acquises par leurs observations et leurs méditations sur la nature, et qu’ils avaient dessein de conserver pour en faire usage au besoin, ils les semaient sans prétention dans des aphorismes, c’est-à-dire qu’ils les résumaient sous la forme de sentences courtes, détachées, et tout à fait dégagées des liens de la méthode. Ils ne se donnaient point l’air d’embrasser l’art en entier, et ne s’en piquaient nullement. Mais, pour peu qu’on réfléchisse sur la marche tout opposée que les auteurs suivent aujourd’hui, on cessera de s’étonner que les élèves ne pensent plus à faire de nouvelles recherches dans des sciences que ces maîtres, par le prestige de leurs méthodes, font regarder comme complètes et parvenues au plus haut point de perfection.

LXXXVII. Cette haute réputation et cette autorité dont jouissent les productions des anciens, il faut, en partie, l’imputer à la vanité et au peu de consistance de ceux d’entre les modernes qui ont proposé quelques nouveautés, surtout dans la partie pratique de la philosophie naturelle ; car il n’a paru que trop de charlatans et de songes creux, en partie dupes de leur propre enthousiasme et en partie fripons, qui ont fait au genre humain de si magnifiques promesses qu’ils l’en ont fatigué, telles que prolongation de la vie humaine, retard de la vieillesse, prompte cessation des douleurs, moyens pour corriger les défauts naturels, illusions faites aux sens, secrets pour lier les affections ou les exciter au besoin, exaltation de facultés intellectuelles, transmutations de substances, recette pour fortifier et multiplier à volonté les mouvements, autre pour produire dans l’air des impressions et des altérations marquées, autres encore pour dériver à son gré les influences des corps célestes et les procurer à qui l’on veut ; prédiction des choses futures, représentation des choses absentes et éloignées, révélation des choses cachées ; voilà ce qu’ils promenaient, et cent autres merveilles de