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LIVRE PREMIER.

CVIII. Telles étaient les indications que nous avions à donner sur les moyens de guérir le désespoir et de faire renaître l’espérance en bannissant à jamais les erreurs du temps passé ou en les corrigeant. Voyons actuellement s’il ne nous reste point encore quelque autre motif d’espérance. Le premier qui se présente, c’est celui-ci : si une infinité de choses utiles ont pu se présenter aux hommes, quoiqu’ils ne les cherchassent pas, qu’ils fussent occupés de tout autre chose, et qu’ils les aient rencontrées comme par hasard, qui peut douter que s’ils les cherchaient à dessein et s’ils procédaient avec méthode et une certaine suite, non par élans et par sauts, ils ne fissent beaucoup plus de découvertes ; car bien qu’il puisse arriver deux ou trois fois que tel rencontre enfin par hasard ce qui lui avait échappé lorsqu’il le cherchait avec effort et de dessein prémédité, cependant, à considérer la totalité des événements, c’est le contraire qui doit arriver. Ainsi, veut-on faire des découvertes, et en plus grand nombre et plus utiles, et à de moindres intervalles de temps, c’est ce qu’on doit naturellement attendre plutôt de la raison, d’une industrieuse activité, d’une judicieuse méthode, que du hasard, de l’instinct des animaux, et d’autres causes semblables qui ont été jusqu’ici la source de la plupart des inventions.

CIX. Un autre motif qui pourrait faire naître encore quelque espérance, c’est que bien des choses, déjà connues, sont de telle nature qu’avant qu’elles fussent découvertes il était difficile d’en avoir même le simple soupçon. Que dis-je ! on les eût regardées comme impossibles, méprisées comme telles ; car les hommes jugent ordinairement des choses nouvelles par comparaison avec les anciennes, auxquelles il les assimilent, et d’après leur imagination, qui en est toute remplie, tout imbue : conjectures d’autant plus trompeuses que la plupart de ces découvertes qui dérivent des sources mêmes des choses n’en découlent point par les ruisseaux ordinaires et connus.

Par exemple, si quelqu’un, avant l’invention de la poudre à canon et de l’artillerie, eût parlé ainsi : « On a inventé une machine par le moyen de laquelle on peut, de la plus grande distance, ébranler, renverser même les murs les plus épais et ruiner quelque fortification que ce puisse être, » on eût d’abord pensé à ces machines de guerre qui sont animées par des poids ou des ressorts, par exemple à quelque nouvelle espèce de bélier, et l’on eût pris peine à imaginer une infinité de moyens pour en augmenter la force et en rendre les coups plus fréquents. Mais cette espèce de vent ou de souffle igné, cette substance qui se dilate et se débande