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LIVRE PREMIER.

les rencontrer beaucoup plus tôt, sur le champ même, les saisir toutes ensemble et avant le temps.

CX. Mais on aperçoit telles autres découvertes qui sont de nature à faire croire que le genre humain peut manquer les plus belles inventions faute de voir ce qui est, pour ainsi dire, à ses pieds, et passer outre sans le remarquer : car, après tout, ces inventions de la poudre à canon, de la boussole, de la soie, du sucre et du papier avaient nécessairement des relations quelconques à certaines propriétés naturelles ; mais on ne peut disconvenir que l’art de l’imprimerie était quelque chose d’assez facile à imaginer, et presque sous la main. Néanmoins, faute d’avoir considéré que, si les caractères typographiques sont plus difficiles à arranger que les lettres à tracer par le seul mouvement de la main, il y a pourtant entre ces deux espèces de caractères cette différence essentielle qu’à l’aide des caractères typographiques une fois placés on tire en fort peu de temps une infinité de copies, au lieu que l’écriture à la main n’en fournit qu’une seule ; faute aussi d’avoir compris qu’il est possible de donner à l’encre un tel degré de consistance qu’en cessant d’être coulante elle puisse encore teindre, sans compter l’attention de tourner les caractères en haut et d’imprimer en dessus : c’est pourtant, dis-je, faute de ces considérations si simples que tant de siècles ont été privés d’une invention si utile, et qui contribue si puissamment à la propagation des sciences.

L’esprit humain, dans cette carrière des inventions, est presque toujours si gauche et si mal disposé qu’il commence par se défier de ses propres forces, et bientôt après se méprise lui-même. Avant que certaines choses aient été découvertes, la possibilité d’une telle invention lui semble incroyable ; mais sont-elles inventées, il lui semble au contraire incroyable qu’elles aient pu si long-temps échapper aux hommes. Or, c’est cette inconséquence même qui est pour nous une raison d’espérer qu’il reste encore une infinité de découvertes à faire soit en saisissant certaines propriétés encore inconnues, soit en transportant d’un genre dans l’autre et en appliquant, à l’aide de cette méthode expérimentale que nous désignons sous le nom d’expérience lettrée, les propriétés déjà connues.

CXI. Voici encore un autre motif d’espérance qu’il ne faut pas oublier. Que les hommes daignent songer à l’énorme dépense de génie, de temps, de facultés, de moyens de toute espèce qu’ils ont faite jusqu’ici, le tout pour des études sans prix et sans utilité ; qu’ils considèrent de plus que, si de telles études eussent été mieux dirigées et tournées vers des objets plus solides, il n’est point de difficultés qu’ils n’eussent pu surmonter ainsi. Nous ne pouvons nous