Page:Œuvres de Bacon, II.djvu/73

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Si l’on est choqué de ces subtilités spéculatives, que dira-t-on des scolastiques qui se sont si étrangement infatués de subtilités d’une tout autre espèce ; lesquelles, loin d’avoir une base dans la nature et la réalité des choses, étaient toutes dans les mots ou dans des notions vulgaires (ce qui ne vaut guère mieux), et destituées de toute utilité, non-seulement dans les principes, mais même dans les conséquences ? Ce n’était rien moins que des subtilités de la nature de celles dont nous parlons ici, et qui, n’étant à la vérité d’aucun usage pour le moment, sont pour la suite d’une utilité infinie. Au reste que les hommes tiennent pour certain que toute analyse très-exacte, et toute discussion très approfondie, qui n’a lieu qu’après la découverte des axiomes ne vient qu’après coup, et qu’il est alors fort tard ; que le véritable ou du moins le principal temps où ces observations si fines sont nécessaires, c’est lorsqu’il s’agit de peser l’expérience et d’en extraire les axiomes ; mais ceux qui se complaisent dans cet autre genre de subtilités voudraient aussi embrasser, saisir la nature ; mais, quoi qu’ils puissent faire, elle leur échappe, et l’on peut appliquer à la nature ce qu’on a dit de l’occasion et de la fortune, qu’elle est chevelue par-devant et chauve par-derrière.

Enfin, à ce dédain que témoignent certaines gens pour les choses très communes, ou basses, ou trop subtiles et inutiles dans le principe, dans l’histoire naturelle, c’est assez d’opposer le mot de cette vieille à un prince superbe[1] qui rejetait dédaigneusement sa requête, la jugeant au-dessous de la majesté souveraine : « Cesse donc d’être roi, » dit-elle. Et en effet il n’est pas douteux que cet empire sur la nature dépend beaucoup de ces détails qui paraissent si minutieux, et sans lesquels on ne peut ni obtenir ni bien exercer cet empire.

CXXII. N’est-il pas étrange, nous dira-t-on encore, et même choquant, de vous voir ainsi écarter, jeter de côté les sciences et leurs inventeurs, tous à la fois, d’un seul coup, et cela sans vous appuyer de l’autorité d’un seul ancien, mais avec vos seules forces et seul de votre parti ?

Nous n’ignorons pas, répondrons-nous, que si nous eussions voulu procéder avec moins de candeur et de sincérité, il ne nous eût pas été fort difficile de trouver, ou dans les temps si anciens qui précédèrent la période des Grecs, temps où les sciences florissaient peut-être davantage, mais dans un plus grand silence, qu’à l’époque où elles tombèrent, pour ainsi dire, dans les trompettes et dans les flûtes des Grecs, ou bien encore quelque philoso-

  1. Philippe, roi de Macédoine.