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NOUVEL ORGANUM.

d’imitations des œuvres divines, et c’est ce que sentait parfaitement le poète qui a dit :

Primæ frugiferos foetus mortalibus ægris
Dididerunt quondam præclaro nomine Athenæ,
Et recreaverunt vitum, legesque rogarunt[1]

On peut aussi observer relativement à Salomon que ce prince, pouvant tirer vanité de sa couronne, de ses trésors, de la magnificence de ses monuments, de sa garde redoutable, de ses nombreux domestiques, de sa flotte, enfin de la célébrité de son nom et de cette haute admiration qu’il excitait parmi ses contemporains, n’attachait pourtant aucune gloire aux avantages de cette nature, comme il le témoigne lui-même en déclarant que la gloire de Dieu est de cacher son secret, et la gloire du roi de découvrir ce secret.

Qu’on daigne aussi envisager la différence infinie qu’on peut observer pour la manière de vivre entre les habitants de telles parties de l’Europe des plus civilisées et ceux de la région la plus sauvage, la plus barbare du Nouveau-Monde ; cette différence bien considérée, l’on sentira plus que jamais que, si l’on peut dire avec vérité que tel homme est comme un dieu par rapport à tel autre homme, ce n’est pas seulement à cause des secours que l’homme procure quelquefois à ses semblables, et des bienfaits qu’il répand sur eux, mais aussi à raison de la différence des situations. Or, ce qui fait cela, ce n’est certainement ni le climat, ni le sol, ni la constitution physique ; ce sont les arts.

Il est bon aussi d’arrêter un instant sa pensée sur la force, sur l’étonnante influence et les conséquences infinies de certaines inventions ; et cette influence, je n’en vois point d’exemple plus sensible et plus frappant que ces trois choses qui étaient inconnues aux anciens, et dont l’origine, quoique très moderne, n’en est pas moins obscure et sans éclat : je veux parler de l’art de l’imprimerie, de la poudre à canon, et de la boussole. Car ces trois inventions ont changé la face du globe terrestre et produit trois grandes révolutions ; la première dans les lettres, la seconde dans l’art militaire, la troisième dans la navigation ; révolutions dont se sont ensuivis une infinité de changements de toute espèce, et dont l’effet a été tel qu’il n’est point d’empire, de secte ni d’astre qui paraisse avoir eu autant d’ascendant, qui ait pour ainsi dire exercé une si grande influence sur les choses humaines.

Il ne sera pas non plus inutile de distinguer trois espèces et

  1. Lucr., VI, i