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BLAISE PASCAL

d’escrire naïfve, juste, agreable, forte et naturelle en mesme temps luy estoit si propre et si particuliere qu’aussy tost qu’on vist paroistre les Lettres au Provincial, on jugea bien qu’elles estoient de luy, quelque soin qu’il eust pris de le cacher mesme à ses proches.

Ce fut en ce temps là qu’il plut à Dieu de guerir ma fille d’une fistule lacrymale, dont elle estoit afîligée il y avoit trois ans et demy. Cette fistule estoit d’une si mauvaise qualité, que les plus habiles chirurgiens de Paris la jugerent incurable. Et enfin Dieu s’estoit reservé de la guerir par l’attouchement d’une Sainte Epine qui est à Port-Royal ; et ce miracle fut attesté par plusieurs chirurgiens et medecins, authorisé par le jugement solemnel de l’Église.

Ma fille estoit filleule de mon frere ; mais il fut plus sensiblement touché de ce miracle par la raison que Dieu y estoit glorifié, et qu’il arrivoit dans un temps où la foy dans la plus part du monde estoit mediocre. La joye qu’il en eut fut si grande qu’il en estoit tout penetré[1] ; et comme son esprit ne s’occupoit jamais de rien sans beaucoup de reflexions, il luy vint à l’occasion de ce miracle particulier plusieurs pensées tres importantes sur les miracles en gene-

  1. Le texte de 1684 porte, au lieu du développement sur les Pensées, ces simples lignes : « de sorte qu’en ayant l’esprit tout occupé, Dieu lui inspira une infinité de pensées admirables sur les miracles, qui, lui donnant de nouvelles lumieres sur la religion, lui redoubla l’amour et le respect qu’il avoit toujours eus pour elle.

    « Et ce fut l’occasion qui fit naistre un extreme desir qu’il avoit de travailler à refuter les principaux et les plus forts raisonnements des athées. Il les avoit estudiez avec grand soin, et il avoit employé tout son esprit à chercher les moyens de les convaincre. C’est à quoy il s’estoit mis tout entier, et la derniere année de son travail a esté toute employée à recueillir diverses pensées sur ce sujet ; mais Dieu, qui lui avoit inspiré ce dessein et toutes ces pensées, n’a pas permis qu’il l’ait conduit à sa perfection, pour des raisons qui nous sont inconnues. »