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JACQUELINE PASCAL

tout le monde, d’autant plus qu’estant de fort petite taille, et ayant le visage fort jeune, elle ne paraissoit pas avoir plus de huit ans, quoy qu’elle en eust treize. Apres la comedie, elle descendit du theatre, afin que Madame Saintot la menast à Madame d’Aiguillon qui la vouloit presenter à M. le cardinal ; mais comme elle vit que Madame Saintot tardoit, et que M. le cardinal se levoit pour se retirer, elle s’en alla à luy toute seule. Quand il la vit approcher, il se rassit, la tint sur ses genoux, et en la caressant il vit qu’elle pleuroit ; il luy demanda ce qu’elle avoit. Alors elle luy fit son compliment que Madame d’Aiguillon accompagna de quantité de paroles obligeantes ; sur quoy M. le cardinal dit qu’il luy accordoit le retour de son pere, et qu’il pouvoit revenir quand il voudroit. Alors cette petite d’elle mesme sans que cela eust esté prevu, luy dit : « Monseigneur, j’ai encore une grace à demander à Vostre Eminence ». M. le cardinal estoit si ravy de sa gentillesse et de cette petite liberté, qu’il luy dit : « Demandez moy ce que vous voudrez ; je vous l’accorderay. » Elle luy dit : « C’est que je supplie Votre Eminence de trouver bon que mon pere ayt l’honneur de luy faire la reverence quand il sera de retour, afin qu’il la puisse remercier luy mesme de la grace qu’elle nous fait aujourd’huy ». M. le cardinal luy dit : « Non seulement je vous l’accorde, mais je le souhaitte. Mandez luy qu’il vienne en toute assurance, et qu’il vienne me voir, et m’amene toute sa famille. » Les choses s’estant passées ainsy que nous le souhaittions, mon pere eut une entiere liberté. Il fut en remercier M. le cardinal, et nous y mena tous.

Sur la fin de l’année 1639, mon pere ayant esté fait collègue de M. de Paris dans la commission de l’intendance de Normandie, dans la generalité de Rouen, fut