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BIOGRAPHIES

obligé d’y aller demeurer, et nous y mena tous. M. Corneille ne manqua pas de venir nous voir. Il pria ma sœur de faire des vers sur la conception de la Vierge, qui est le jour qu’on donne les prix. Elle fit des stances[1], et on luy en porta le prix avec des trompettes et des tambours en grande ceremonie. Elle receut cela avec une indifference admirable[2]. Quoy qu’elle eust alors quinze ans, elle badinoit comme un petit enfant, et s’amusoit avec des poupées. Nous luy en faisions des reproches, et ce ne fut pas sans peine que nous l’engageames à quitter ces puerilités qu’elle preferoit aux plus grandes compagnies de la ville, quoy qu’elle y eut un applaudissement general. Elle n’avoit nul attachement pour la gloire ni pour l’estime, et je n’ay jamais vu personne en estre moins touchée. Cette reputation qu’elle avoit acquise des son enfance ne diminua point dans les autres temps ; au contraire, elle alla toujours en augmentant, parce qu’elle avoit toutes les grandes qualitez de chaque age, de sorte qu’on la souhaittoit partout, et ceux qui n’avoient point d’habitude particuliere avec elle recherchoient avec grand soin sa connoissance. Lorsqu’elle arrivoit en quelque compagnie où on ne l’attendoit pas, on y voyoit tout le monde se rejouir de sa venuë, et un petit murmure s’eslevoit, et

  1. Voir ci-dessous, p. 263.
  2. Le manuscrit de la Bibliothèque Nationale, suivi par le texte imprimé de 1751, s’écarte ici du recueil Guerrier : « Elle estoit mesme si simple que, quoy qu’elle eust alors quinze ans, elle avoit tousjours des poupées qu’elle habilloit et deshabilloit avec autant de plaisir que si elle n’eust eu que dix ans. Nous luy faisions reproche de cette enfance, et nous le fismes tant qu’enfin elle fut contrainte de les quitter, mais ce ne fut pas sans peine : car elle aimoit mieux ce divertissement que d’estre dans les plus grandes compagnies de la ville, quoiqu’elle y eust un applaudissement general, parce qu’elle n’avoit nul… »