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BIOGRAPHIES

à Paris, M. Singlin trouva à propos qu’on luy declarast le dessein de ma sœur, parce qu’alors elle estoit entierement resolue. Mon frere se chargea de cette commission, parce qu’il n’y avoit que luy qui le put faire. Mon pere fut fort surpris de cette proposition, et il fut estrangement partagé ; car d’un costé, comme il estoit entré dans les maximes de la pureté du christianisme, il estoit bien aise de voir ses enfans dans le mesme sentiment ; mais de l’autre costé, l’affection si tendre qu’il avoit pour ma sœur l’attachoit si fort à elle qu’il ne pouvoit se resoudre de s’en separer pour[1] jamais. Cette diversité de pensées l’obligea de repondre d’abord à mon frere qu’il verroit et qu’il y penseroit. Mais enfin, apres avoir balancé quelque temp, il luy dit nettement qu’il ne pouvoit y donner son consentement. Il se plaignit mesme de mon frere, de ce qu’il avoit fomenté ce dessein sans savoir s’il luy seroit agreable ; et cette consideration l’aigrit de telle sorte contre mon frere et contre ma sœur qu’il n’eut plus de confiance en eux ; de sorte qu’il commanda à une fille, qui estoit ancienne domestique, et qui les avoit elevez tous deux, de prendre garde à leurs actions[2]. Cet ordre de mon pere jeta ma sœur dans une grande contrainte, si bien que depuis ce tems-la elle ne put aller à P. R. qu’en cachette, ny voir M. Singlin que par adresse et par invention.

Cette peine ne diminua rien de sa ferveur, et comme elle avoit renoncé au monde dans son cœur, elle ne pouvoit plus prendre plaisir aux divertissemens comme elle

  1. F. : « tousjours. »
  2. Cette ancienne domestique paraît être Louise Deffaud, qui figure dans les actes notariés passés après la mort d’Étienne Pascal. (Vide infra, t. II, p. 570).