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DISCOURS SUR LES PASSIONS DE L’AMOUR

maticien dont le duc de Roannez avait fait provision, et qui depuis a bien fait parler de lui, c’est Blaise Pascal.

À vrai dire, puisque le voyage en Poitou, dans les conditions où le chevalier de Méré le rapporte, n’a pu avoir lieu ni plus tôt que l’hiver 1651 ni plus tard que l’été de 1654, que vraisemblablement il appartient à la période qui sépare la vêture de Jacqueline, le 26 mai 1662, et sa profession, le 5 juin 1653[1], Pascal n’avait pas dépassé trente ans ; bien que la maladie ait pu le vieillir prématurément, il n’est pas tout à fait exact de dire qu’il fût entre deux âges. Surtout on peut contester la fidélité du portrait moral que Méré trace avec sa désinvolture à la cavalière, avec son exagération habituelle[2]. Les pages que Pascal a eu l’occasion d’écrire au cours de sa carrière scientifique, et jusqu’à cette lettre de juin 1662 qu’il vient d’adresser à la reine de Suède, n’attestent-elles pas une ouverture d’esprit, un usage des ressources de la langue, qui dépassent singulièrement l’horizon du mathématicien professionnel ? Mais il faut bien s’entendre : ce que Méré présente comme une transformation à vued’œil, accomplie sous son intluence, ne correspond à rien d’autre qu’à une erreur de jugement de sa part ; il s’en est assez vite aperçu, mais il ne veut pas l’avouer au lecteur, ni peut-être se l’avouer explicitement à lui-même. Il n’avait pas discerné d’abord la profondeur de l’esprit de Pascal, parce que l’esprit de Pascal ne lui avait pas paru habillé à la mode de la Cour, imprégné de ce « bon air »

  1. Voir l’étude de Charles Adam : Un séjour de Pascal en Auvergne, Revue de l’enseignement secondaire et de l’enseignement supérieur (pp. 462-471). Pascal aurait accompagné le duc de Roannez de Paris à Poitiers (à ce voyage se rapporteraient, suivant une tradition recueillie par Condorcet et Bossut, les vers de Fontenay-le-Gomte que nous publions ci-dessous, p. 140-141). Il aurait ensuite passé plusieurs mois à Clermont : il vint à Clermont chez M. Perier son beau-frère à la fin de 1662, et y demeura jusqu’au mois de mai 1653, dit une note manuscrite du Recueil 455o de la Bibliothèque Mazarine, qm serait tirée de l'Information sur le miracle de la Sainte-Épine.
  2. Strowski, Histoire de Pascal, 1907, p. 231.