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ŒUVRES

sont l’amour et l’ambition : elles n’ont gueres de liaison ensemble. Cependant on les allie assez souvent ; mais elles s’affoiblissent l’une l’autre réciproquement, pour ne pas dire qu’elles se ruynent.

Quelque estendue d’esprit que l’on ayt, l’on n’est capable que d’une grande passion[1] c’est pour quoy, quand l’amour et l’ambition se rencontrent ensemble, elles ne sont grandes que de la moitié de ce qu’elles seroient s’il n’y avoit que l’une ou l’autre. L’aage ne détermine point ni le commencement, ni la fin de ces deux passions ; elles naissent des les premières années, et elles subsistent bien souvent jusques au tombeau. Neantmoins, comme elles demandent beaucoup de feu, les jeunes gens y sont plus propres, et il semble qu’elles se ralentissent avec les années ; cela est pourtant fort rare.

La vie de l’homme est misérablement courte. On la compte depuis la première entrée[2] au monde ; pour moy je ne voudrois la compter que depuis la naissance de la raison, et depuis[3] que l’on commence à estre ébranlé par la raison, ce qui n’arrive pas ordinairement avant vingt ans. Devant ce[4] terme l’on est enfant ; et un enfant n’est pas un homme.

Qu’une vie est heureuse quand elle commence

  1. La Bruyère dira : a Les passions tyrannisent l’homme, et l’ambition suspend en lui les autres passions. » (Des Biens de fortune, 50).
  2. C : dans le.
  3. C : qu’on.
  4. C : temps.