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DISCOURS SUR LES PASSIONS DE L'AMOUR

de son esprit, il l'est en amour. Car comme il doit estre ébranlé par quelque objet qui est hors de luy, s'il y a quelque chose qui répugne à ses idées, il s'en apperçoit, et il le[1] fuit. La règle de cette délicatesse dépend d'une raison pure, noble et sublime. Ainsy l'on se peut croire délicat, sans qu'on le soit effectivement, et les autres ont droit de [2] nous condamner au lieu que pour la beauté chacun a sa règle souveraine et indépendante de celle des autres. Neantmoins entre estre délicat et ne l'estre point du tout, il faut demeurer d'accord que, quand on souhaitte d'estre délicat, l'on n'est pas loin de Festre absolument. Les femmes ayment à [3]apercevoir une délicatesse dans les hommes ; et c'est, ce me semble, l'endroit le plus tendre pour les gagner : l'on est aize devoir que mil autres sont mesprisables, et qu'il n'y a que nous d'estimables [4].

Les qualitez d'esprit ne s'acquièrent point par l'habitude[5] on les perfectionne seulement ; de là, il

  1. G : suit.
  2. G : omet nous.
  3. Première leçon de C : voir.
  4. La délicatesse, telle que l'entend ici Pascal, s'oppose à la grossièreté ; c'est la prédominance dans l'amour de l'esprit sur le corps c'est le raffinement intellectuel qui procède du goût de l'analyse, plutôt que la force de la passion, ce qui correspond en un mot à la spiritualité dans la dévotion et qui a été transporté par l'hôtel de Rambouillet de la vie religieuse dans la vie mondaine. C'est ce que confirme cette maxime de la Rochefoucauld : « La trop grande subtilité est une fausse délicatesse, et la véritable délicatesse est une solide subtilité. » (128.)
  5. G : on les perfectionne. Seulement de là il est visible que la delicatesse...

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