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DISCOURS SUR LES PASSIONS DE L'AMOUR

plus de veuë, l'on ayme jusques aux moindres choses, ce qui n'est pas possible aux autres; il faut estre bien fin pour remarquer cette différence.

L'on ne peut presque faire semblant d'aymer que l'on ne soit bien prest d'estre amant, ou du moins que l'on n'ayme en quelque endroit ; car il faut avoir l'esprit et les pensées de l'amour pour ce semblant, et le moyen[1] d'en bien parler sans cela? La vérité des passions ne se desguise pas si aysement que les veritez sérieuses. Il faut du feu, de l'activité et un [2] jeu d'esprit naturel et prompt pour la première : les autres se cachent avec la lenteur et la soupplesse, ce qu'il est plus aysé de faire.

Quand on est loing de ce que l'on ayme, l'on prend la resolution de faire et de dire beaucoup de choses ; mais quand on est prest, [3]l'on est irrésolu ; d'où vient cela? c'est que quand [4]l'on est loing la raison n'est pas si ébranlée, mais elle l'est estrangement[5] à la presence de l'object; or, pour la resolution il faut delà fermeté, qui est ruynee par l'ébranlement.

Dans l'amour on n'oze bazarder parce que l'on craint de tout perdre ; il faut pourtant avancer, mais qui peut dire jusques où? L'on tremble tousjours jusques à ce que l'on aye trouvé ce point[6]. La pru-

  1. C : de bien parler.
  2. C : feu.
  3. C : on.
  4. C : on.
  5. C : en.
  6. Voir les fragments que nous avons groupés dans notre édition des Pensées à la Section Vil, 381-383.