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PRÉFACE DES TRAITÉS

toient sans le contraindre davantage. Monsieur Pascal se laissa vaincre à ces raisons, et donna les élemens d’Euclide à son fils qui n’avoit encore que douze ans. Jamais enfant ne leut un Roman avec plus d’avidité et plus de facilité qu’il leût ce livre, lors qu’on le luy eût mis entre les mains, Il le vit et l’entendit tout seul, sans avoir jamais eu besoin d’aucune explication, et il y entra d’abord si avant qu’il se trouvoit délors regulierement aux conferences qui se faisoient toutes les semaines, ou tous les plus habiles gens de Paris s’assembloient pour y porter leurs ouvrages, ou pour examiner ceux des autres. Le jeune Monsieur Pascal y tint délors sa place aussi bien qu’aucun autre, soit pour l’examen, soit pour la production. Il y portoit aussi souvent que personne des choses nouvelles, et il est arrivé quelquefois qu’il a découvert des fautes dans des propositions qu’on examinoit dont les autres ne s’estoient point apperceus. Cependant il n’employoit à l’estude de la Geometrie que ses heures de recreation, aprenant alors les langues que son pere luy monstroit. Mais comme il trouvoit dans ces sciences la verité qu’il aymoit en tout avec une extréme passion, il y avançoit tellement pour peu qu’il s’y occupât qu’à l’âge de seize ans il fit un Traité des Coniques qui passa au jugement des plus habiles pour un des plus grands efforts d’esprit qu’on se puisse imaginer. Aussi Monsieur Descartes qui estoit en Hollande depuis long temps, l’ayant leu, et ayant oüy dire qu’il avoit esté fait par un enfant agé de seize ans, ayma mieux croire que Monsieur Pascal le pere en estoit le veritable auteur, et qu’il vouloit se dépoüiller de la gloire qui luy appartenoit legitimement pour la faire passer à son fils, que de se persuader, qu’un enfant de cet âge fut capable d’un ouvrage de cette force, faisant voir par cet éloignement qu’il témoigna de croire une chose qui estoit tres veritable, qu’elle estoit en effet incroyable et prodigieuse[1].

  1. La lettre au P. Mersenne où Descartes exprime son jugement sur l’Essai de Pascal avait paru en 1659 (tome II de l’édition des Let-