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LETTRE DE JACQUELINE PASCAL A SON FRÈRE 13

pas à l'extrémité ou de différer ce que j'ay désiré si long- temps avec tant d'ardeur, et de me mettre ainsy au hasard de perdre ma vocation ou de faire bassement, et avec une langueur qui tiendroit de l'ingratitude, une action qui doit estre toute de ferveur, de joye et de charité, pour respondre à celle que Dieu a eue de toute éternité pour nous, en nous choisissant pour ses épouses avant que de nous avoir créées ; et de me rendre par ce moyen tout à fait indigne des grâces que je dois attendre dans tout le reste de ma vie, par la lâcheté que j'auroi eue dans ces com- mencements ; et ne m'obligez pas à vous regarder comme l'obstacle de mon bonheur, si vous estes capable de différer l'exécution de mon dessein, ou comme l'auteur de mon mal si vous estes cause que je l'accomplisse avec tiédeur.

Si j'avois moins d'expérience de ce que peut la ten- dresse naturelle sur ceux de notre famille, j'apporterois moins de précaution à vous faire consentir à une chose toute sainte et toute juste, parce que les grâces naturelles et surnaturelles que Dieu vous a données devroient vous porter mesme à m'encourager dans mon dessein, sij'estois assez malheureuse pour m'y affoiblir. Je n'ose encore attendre cela de vous, quoy que j'eusse droit de l'espérer dans les connoissances que vous avez ; mais j'attends que vous ferez un effort sur vous mesme pour ne pas vous mettre en estât de me faire perdre les grâces que j'ay receues, et de m'en respondre devant Dieu à qui je proteste que ce sera à vous seul que je m'en prendray et que je les redemanderay: Dieu nous garde l'un et l'autre de tomber dans ce malheur I

Je sçay bien que la nature fait arme de tout en ces rencontres, et que pour éviter ce qu'elle craint toutes choses luy semblent justes, et que pour fomenter ce qu'elle vous suggérera tout le monde ne manquera pas en cette occasion d'exercer cette sorte de charité et de

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