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LETTRE DE JACQUELINE PASCAL A SON FRERE 15

îa complaisance que j'ay eue autres fois pour luy, il plaise à Dieu me donner la force d'y résister, et que tous ses efforts ne servent qu'à faire esclater la victoire qu'il a dai- gné remporter dans mon cœur sur tous les charmes et les promesses du monde, qui sont si vaines et si bor- nées qu'il ne faut qu'un peu de raison, esclairée de la foy et soutenue par la grâce, pour faire quitter avec joye par avance ce qu'il faudra quitter par nécessité dans quel- ques moments. Ne vous opposez point à cette lumière divine ; n'empeschez pas ceux qui font bien, et faites bien vous mesme ; ou si vous n'avez pas la force de me suivre, au moins ne me retenez pas. Ne vous rendez pas ingrat envers Dieu de la grâce qu'il fait à une personne que vous aimez ; plus elle doit vous estre chère, plus les faveurs qu'elle reçoit vous doivent estre sensibles.

S'il nous est recommandé de ne point négliger les chastiments du Seigneur, combien moins ses grâces, et la plus grande et la plus rare de ses grâces 1 Je parle de l'extérieure par laquelle il me permet d'estre admise au nombre de ces anges visibles qui ne sont au monde que pour l'adorer, et qui n'ont d'autre occupation extérieure ni d'autre désir dans le cœur que de le servir dans toute l'estendue que peuvent des créatures mortelles ; car pour l'intérieure, qui me rendroit un ange en cette manière, si elle trouvoit en moy une matière disposée, je reconnois que j'en ay très peu, quoy que ce peu surpasse infi- niment mon mérite. C'est ce qui doit augmenter nostre reconnoissance et nostre admiration de cette faveur infinie et incompréhensible de nostre Dieu envers une créature qui s'en est rendue si indigne. Je suis tellement touchée de cette pensée à l'heure que j'escris, que si j'osois, je crois que ferois une confession de toute ma vie pour vous faire mieux comprendre quelle est la miséricorde de Dieu

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