Page:Œuvres de Blaise Pascal, III.djvu/91

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RELATION DE JACQUELINE PASCAL 75

« *Feu de M. de S. G. avoit un frère qui estoit extrê- mement du monde, et qui mesme est mort dans cette humeur là, ce qui l'a beaucoup fasché ; et neant- moins, quoy qu'il le connust bien tel qu'il estoit, il ne laissa pas de luy donner une terre considérable qu'il avoit, dont il voulut se défaire pour ne posséder que le moins qu'il pourroit des biens de la terre. Vous ne doutez pas qu'il l'eut bien mieux employée, s'il eut voulu, et qu'il n'eut peu en faire beaucoup de charitez ; mais il le fit par un autre motif de charité, afin de ne le pas esloigner de luy, ny luy faire croire quileut assez mauvaise opinion de son estât pour penser que le bien qu'on luy donneroit se- roit mal employé ou perdu: ipdiTce que c'eust esté luy oster une partie de la confiance qu'il avoit en luy, et par mesme moyen perdre l'espérance de le pouvoir servir en la manière qu'il desiroit ; car, comme il sçavoit bien met- tre le prix aux choses, il ne faisoit point de difficulté de prodiguer et mesme perdre un peu de bien temporel pour luy pouvoir procurer les biens véritables. C'est pour vous dire, ma fille que vous n'avez pas malfait d'en faire au- tant, puisque vous l'avez fait pour la mesme raison.

« Mais, afin de vous oster tout sujet de scrupule, il faut que vous sçachiez que, quand mesme il seroit vray que vous auriez fait une faute en cela, ce qui n'est pas, comme je vous ay dit, et que ce seroit une perte et une dissipation de vostre bien, vous le devriez regarder comme une des moindres de toutes celles qu'on peut faire. Je dis, en vérité une des moindres : veoyez-vous, ma soeur, toutes les choses extérieures et périssables ne sont rien ; la perte que l'on fait de la moindre grâce est mille fois plus considérable

��I. « Feu M. de Saint-Cvran qui estoit à Dieu, comme vous sça- vez... »

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