Page:Œuvres de Blaise Pascal, XII.djvu/125

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que manifester par là sa faiblesse et son humiliation : elle est comme l’avocat, pour qui le procès change d’aspect suivant la somme qu’on lui a promise. La raison est un instrument à tout faire, la volonté l’incline du côté qui lui plaît : nous croyons que nous désirons ou que nous craignons pour les raisons que nous disons, mais en réalité c’est parce que nous désirons ou parce nous craignons que nous avons trouvé ces raisons[1]. En vain nous essayons de nous insurger contre les caprices de notre volonté ; si, apercevant la fragilité de nos désirs, la vanité de nos joies, la misère du divertissement perpétuel où nous oublions ce qui devrait être notre essence et notre bien, nous concentrions notre pensée sur nous-même et sur notre destinée, nous achèverions de détruire notre propre vie ; car il ne nous resterait plus alors, pour asseoir nos raisonnements, cette ombre de plaisir qui avait du moins comme effet de faire passer le temps et d’écarter de notre vue le malheur de notre condition[2]. La raison ne vaut pas une heure de peine, parce qu’elle ne peut pas nous apporter une heure de joie[3]. Mise en face d’elle-même, elle ne trouve plus que le néant.

Ainsi à aucun moment Pascal ne récuse la lumière de la raison. Mais à ses yeux cette lumière est double : d’une part elle définit la loi idéale qui fournit à l’homme lame sure de la vérité, d’autre part elle fait éclater la vanité de la réalité effective qui est mesurée par cette loi ; la raison est l’aspiration à la grandeur, mais elle est aussi la conscience de la misère. L’homme porte en lui l’infinité de la pensée ; seulement la nature normale de l’être pensant

  1. Fr. 276.
  2. Fr. 164.
  3. Fr. 79.