Page:Œuvres de Blaise Pascal, XII.djvu/141

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justice, la politesse et la charité même sont encore des feintes et des déguisements sous lesquels se reconnaît la volonté propre, l’attachement du moi au moi[1]. Pour l’homme corrompu être, c’est être injuste.

Dès lors, de quel droit déclarer que Dieu est injuste ? il serait contraire à la justice humaine de punir celui qui n’a pas commis la faute ; or la justice divine nous fait participer non pas au châtiment seulement du péché, mais au péché lui-même ; nous ne sommes pas condamnés sans avoir mérité le châtiment, c’est à mériter le châtiment que nous sommes condamnés. Aucun homme n’échapperait à l’éternelle damnation que Dieu serait absolument exempt d’injustice [2].

Voici qui achève enfin de confondre, par un nouveau renversement, toutes les lois de notre raison : au-dessus de cette justice qui n’a pas de commune mesure avec notre justice, s’élève l’édifice de la miséricorde, « énorme » comme la justice elle-même[3]. Quelques-uns seront sauvés de ceux qui devaient être perdus. Sans doute leur salut paraîtra juste puisqu’il est obtenu par les vertus, par la prière qui est la première de toutes les vertus ; grâce à la prière l’homme paraît avoir « la dignité de la causalité », il paraît être lui-même l’auteur de son salut. Mais qu’on y prenne garde : cette apparence est la tentation la plus forte à laquelle le chrétien soit en lutte, celle qui doit lui inspirer, avec le plus d’humilité, la crainte et le tremblement qui sont perpétuellement nécessaires à l’œuvre du salut ; car c’est la négation même du christianisme que

  1. Fr. 455.
  2. Lettre sur les Commandements de Dieu ; sub fine.
  3. Fr. 233.