Page:Œuvres de Blaise Pascal, XII.djvu/153

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Voici qui est plus terrible encore : cette opposition des Juifs charnels et des Juifs spirituels se continue dans la société des chrétiens. Il y a un christianisme libertin qui s’oppose au christianisme vrai, et où tout ce qui devait être raison de croire devient motif de réprobation. Le Dieu qui s’est voulu cacher à la foule des hommes a aussi voulu aveugler la plupart de ceux qui se réclamaient de son nom. Ainsi la croyance à la rédemption deviendra un danger : si l’on croit que Jésus en mourant a réparé le désordre de la nature, qu’il nous a rendu l’intégrité de notre libre arbitre et la pureté de notre raison, l’on tombe dans l’abîme où sont les philosophes et les païens. Le respect de l’Église devient un danger : on se sert des autorités reconnues pour couvrir des tolérances morales qui sont le scandale des consciences chrétiennes. L’observation minutieuse du culte est un danger : « Jésus-Christ, selon les Chrétiens charnels, est venu nous dispenser d’aimer Dieu, et nous donner des sacrements qui opèrent tous sans nous[1]. » Le christianisme est une religion vivante, qui nous a imposé de vivre pour Dieu, c’est-à-dire de lutter contre nous-mêmes. « Jésus est venu apporter le couteau et non pas la paix[2]. » La lutte de l’homme contre sa nature sans cesse renaissante, c’est aussi la lutte de l’Église contre elle-même, contre le poids mort qu’elle traîne avec soi : « l’Église a trois sortes d’ennemis : les Juifs qui n’ont jamais été de son corps ; les hérétiques qui s’en sont retirés ; et les mauvais Chrétiens, qui la déchirent au dedans[3]. »

La terre est un lieu d’exercice ; dans chaque cons-

  1. Fr. 607.
  2. Lettres à Mademoiselle de Roannez, II, olim 4 ; cf. fr. 498.
  3. Fr. 840.