Page:Œuvres de Blaise Pascal, XII.djvu/157

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tiative et le mérite. La prière elle-même est dangereuse, si en demandant nous allions croire que nous avons quel que droit à obtenir. À plus forte raison, celui qui entre prend de découvrir aux hommes la vérité, de leur montrer, les routes du salut s’expose à la tentation naturelle qui est de faire le Dieu. Au moment où l’auteur des Pensées, s’élève le plus haut dans la conscience claire de son génie, il se fait scrupule, il offre en sacrifice la joie dont il ne peut se défendre, il s’abaisse dans un mouvement d’humilité : l’incrédule qu’il aura retiré du milieu d’iniquité et qu’il aura conduit à Dieu, sera peut-être demain revêtu de cette grâce que demain peut-être lui-même implorera en vain. Même illuminé par la flamme d’un bonheur céleste, le chrétien ne peut pas se reposer dans ce bonheur, et le faire sien ; il doit l’accueillir dans les larmes et dans l’anxiété. Voilà sans doute le dernier secret des Pensées ; voilà pourquoi ces Fragments, destinés pour la plupart à une Apologie du christianisme, tournés contre les libertins et les mauvais chrétiens, sont pleins pourtant de l’âme même de Pascal ; c’est de lui qu’ils nous entretiennent et c’est vers lui qu’ils dirigent notre esprit ; c’est l’angoisse d’un drame intérieur qui de l’auteur se communique aux lecteurs. La légende romantique veut qu’il lutte contre ses doutes, qu’il travaille inutilement à affirmer en lui la conviction qu’il voudrait imposer à autrui. En réalité Pascal est inquiet non de sa foi mais de son salut : « Toute condition, et même les martyrs, ont à craindre, par l’Écriture[1]. » Il n’est ni un théologien spéculatif, ni un docteur qui parle du haut de la chaire, en représentant d’une autorité « reconnue » ; il est à genoux, il prie, et

  1. Fr. 518.