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clxxxii PRÉFACE DE PORT-ROYAL.

grande partie de ce qu’il avait déjà conçu touchant son dessein ; car il n’a presque rien écrit des principales raisons dont il voulait se servir, des fondements sur lesquels il pré tendait appuyer son ouvrage, et de l’ordre qu’il voulait y garder ; ce qui était assurément très considérable. Tout cela était parfaitement bien gravé dans son esprit et dans sa mé moire ; mais ayant négligé de l’écrire lorsqu’il l’aurait peut être pu faire, il se trouva, lorsqu’il l’aurait bien voulu, hors d’état d’y pouvoir du tout travailler.

Il se rencontra néanmoins une occasion, il y a environ dix ou douze ans 1, en laquelle on l’obligea, non pas d’écrire ce qu’il avait dans l’esprit sur ce sujet-là 2, mais d’en dire quelque chose de vive voix. Il le fit donc en présence et à la prière de plusieurs personnes très considérables de ses amis. Il leur développa en peu de mots le plan de tout son ouvrage ; il leur représenta ce qui en devait faire le sujet et la matière ; il leur en rapporta en abrégé les raisons et les principes, et il leur expliqua l’ordre et la suite des choses qu’il y voulait traiter. Et ces personnes, qui sont aussi capables qu’on le puisse être de juger de ces sortes de choses, avouent qu’elles n’ont jamais rien entendu de plus beau, de plus fort, de plus touchant, ni de plus convaincant : qu’elles en furent charmées ; et que ce qu’elles virent de ce projet et de ce dessein dans un discours de deux ou trois heures fait ainsi sur-le-champ, et sans avoir été prémédité ni travaillé, leur fit juger ce que ce pourrait être un jour, s’il était jamais exécuté et conduit à sa perfection par une personne dont elles connaissaient la force et la capacité ; qui avait accoutumé de travailler telle ment tous ses ouvrages, qu’il ne se contentait presque jamais de ses premières pensées, quelque bonnes qu’elles parussent aux autres ; et qui a refait souvent, jusqu’à huit ou dix fois,


1. C’est-à-dire (la préface étant de la fin de 1669) de iGÔ7à 1659.

2. Cette incidente est assez importante ; si on la prend à la lettre, il Tant en conclure que Pascal n’avait pas écrit d’avance son exposi tion orale ; le résumé d’Étienne Périer aurait été fait seulement à Paide des souvenirs des auditeurs. Cependant le manuscrit contient un long fragment avec cette indication A. P. R. qui semble se rapporter à la conférence dont parle Étienne Pascal (fr. 41Û et 43o).