Page:Œuvres de Blaise Pascal, XII.djvu/221

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que cet amour pour la vérité, qui ne peut s’effacer de son cœur, joint à une si grande incapacité de la bien connaître, ne le surprenne ; que cet orgueil né avec lui et qui trouve à se nourrir dans le fond même de la misère et de la bassesse ne l’étonné ; que ce sentiment sourd, au milieu des plus grands biens, qu’il lui manque quelque chose, quoiqu’il ne lui manque rien de ce qu’il connaît, ne l’attriste ; et qu’enfin ces mouvements involontaires du cœur qu’il condamne, et qu’il a la peine de combattre lors même qu’il se croit sans défauts, et ceux qui lui causent toujours quelque trouble, s’il veut bien s’observer, quelque abandonné qu’il soit au crime, ne le démontent, et ne lui fassent douter qu’une nature si pleine de contrariétés, et double et unique tout ensemble, comme il sent la sienne, puisse être une simple production du hasard, ou être sortie telle des mains de son auteur.

Quoiqu’un homme en cet état soit encore bien loin de connaître Dieu, il est au moins certain que rien n’est plus propre à lui persuader qu’il peut y avoir autre chose que ce qu’il connaît et que cette chose inconnue peut lui être d’assez grande conséquence pour chercher s’il n’y a rien qui puisse l’en instruire : et même on ne saurait nier que ceux qu’on aurait mis dans cette disposition ne lussent tout autrement capables d’être touchés des autres preuves de Dieu, et qu’ils ne reçussent avec d’autant plus de joie l’éclaircissement de leurs doutes, qu’on leur apprendrait en même temps le remède à cet abîme de misères dont les hommes sont entourés, et dans lesquelles il est inconcevable comment ceux qui n’en espèrent point peuvent avoir le moindre repos.

C’est à cet étrange repos que M. Pascal en voulait princi palement, et on le trouvera poussé dans ses écrits avec tant de force et d’éloquence, qu’il est mal aisé d’y donner quelque attention sans en être ému ; et que ces gens qui ont pris leur parti, et qui savent, disent-ils, à quoi ils doivent s’en tenir, auront peut-être de la peine à s’empêcher d’être ébranlés. Aussi ne croyait-il pas qu’il pût subsister avec la moindre étincelle de bon sens ; et après avoir supposé qu’un homme raisonnable n’y pouvait demeurer, non plus que dans l’igno rance de son véritable élat présent et à venir, il lui lit cher cher tout ce qui lui pouvait donner quelque lumière, et