Page:Œuvres de Blaise Pascal, XII.djvu/279

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le repos du monde. Donc les opinions du peuple sont saines : il faut respecter les lois établies, s’incliner devant les grands seigneurs ; mais ce n’est point parce que cela est juste, comme le peuple le pense, parce que ces lois sont conformes à l’équité ou que la naissance entraine une supériorité d’esprit, c’est parce que cela est établi ainsi, et que les qualités extérieures, étant seules visibles et incontestables, peuvent seules s’imposer à tous. Le sage parle donc comme le peuple, mais il n’est pas dupe des croyances populaires, il ne livre à la force que ce qui est du domaine de la force, il ne confond pas la grandeur matérielle avec la grandeur spirituelle qui a droit au suffrage de l’esprit ; il sait que la raison du peuple est au fond folie, et il se résigne à cette folie, en gardant sa pensée de derrière la tête. Le sage, le sage chrétien surtout, vise plus haut que le monde ; de là cette sérénité supérieure avec laquelle il considère l’ordre qui règne dans la société et l’illusion de la justice qui en est à la fois le plus misérable et le plus solide appui.

À quoi devait tendre, dans l’esprit de Pascal, cette série de réflexions où les diverses opinions en présence auraient été développées sous forme de lettres ? Sans doute à humilier la raison, à dévoiler les contradictions et l’impuissance de l’humanité naturelle, à subordonner le cours du monde à une pensée secrète et supérieure qui l’explique, qui le justifie et que Pascal nomme : ce la raison des effets. » La gradation d’opinions par laquelle se comprend l’organisation de la société, est une image de la dialectique qui, appliquée cette fois à la nature intérieure de l’homme, nous amènera à concevoir « la raison des effets » de cette nature, raison que la religion nous fournit. En même temps aussi elle écarte seule de la route de l’apologiste les objections que les esprits forts ont élevées contre la justice divine en s’appuyant sur la justice humaine : l’appui s’est écroulé, les objections se sont évanouies.


Section VI. Les Philosophes.


C’est aux philosophes que l’homme s’adresse pour trouver le souverain bien. Les philosophes lui font voir d’abord que sa