Page:Œuvres de Blaise Pascal, XII.djvu/280

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dignité est dans la pensée. Par la pensée l’homme comprend en lui cet univers, qui le comprend en soi. Il est plus grand que ce qui est plus fort que lui : car il connaît cette force, et sa faiblesse. L’homme possède donc le principe de toute morale, la pensée qui suffit à réprimer ses passions. Mais la grandeur à laquelle l’homme peut prétendre n’est pas dans l’ordre de la nature : ce sont des saillies exceptionnelles qui font mieux remarquer sa médiocrité habituelle. Cette pensée, qui s’érige en souveraine, est en réalité soumise aux moindres circonstances extérieures, sujette à toutes les infirmités du corps dont elle dépend. Elle suffit à nous donner l’idée et le besoin de la vérité ; mais cette vérité même, elle est incapable de la saisir dans sa substance et dans son essence. Le scep tique joue avec les multiples aspects des choses, et l’existence du dogmatisme lui apparaît comme le plus frappant témoi gnage de l’étroitesse et de l’infirmité incurable de l’esprit humain. Ainsi il est à la fois vrai que la pensée est souveraine dans l’homme, et que la pensée est impuissante à s’assurer la possession de son objet, qui est la vérité. C’est pourquoi il y a entre les philosophes une perpétuelle opposition ; cette opposition est l’effet et la preuve de la double nature de l’homme, grandeur et misère tout ensemble. Entre l’instinct qui l’élève et l’expérience qui le déprime, entre la raison et les passions, les philosophes ont choisi, et par là ils ont exclu ; ils ont été dans l’erreur, n’ayant vu qu’une partie de la vérité. Il est vrai que l’homme est misérable ; mais il est vrai qu’il a le sentiment de sa misère, et ce sentiment fait sa gran deur. La misère et la grandeur sont choses inséparables chez l’homme, et ce sont choses contradictoires. Aussi la sagesse humaine, ne pouvant concevoir deux états contraires dans un même sujet, échoue-t-elle inévitablement à rendre raison de la nature humaine ; tout ce qu’elle peut faire, c’est de maintenir dans son intégrité la notion de la nature humaine, de conserver la dualité, la contrariété qui en est le vrai caractère, de voir au moins la chose, puisqu’elle ne peut voir la cause.

Section VII. La Morale et la Doctrine.

L’analyse philosophique suffit pour attester que l’homme