Page:Œuvres de Descartes, éd. Cousin, tome I.djvu/115

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

roît toujours un philosophe qui pense. Comment, dit-il, à la tête d’un ouvrage où je jette les fondements de la vérité, oserois-je la trahir ? Il continua jusqu’à la fin de sa vie un commerce de lettres avec elle. Souvent cette princesse fut malheureuse ; Descartes la consoloit alors. Malheureux et tourmenté lui-même, il trouvoit dans son propre cœur cette éloquence douce qui va chercher l’âme des autres, et adoucit le sentiment de leurs peines. Après avoir été long-temps errante et presque sans asile, Élisabeth se retira enfin dans une abbaye de la Westphalie, où elle fonda une espèce d’académie de philosophes à laquelle elle présidoit. Le nom de Descartes n’y étoit jamais prononcé qu’avec respect ; sa mémoire lui étoit trop chère pour l’oublier. Elle lui survécut près de trente ans, et mourut en 1680.

(30) PAGE 75.

C’est une chose remarquable que Descartes ait eu pour disciples les deux femmes les plus célèbres de son temps… Je ne m’étendrai point sur l’histoire de Christine, tout le monde la connoît. Ce fut M. de Chanut qui le premier engagea cette reine à lire les ouvrages de Descartes. En 1647, elle lui fit écrire, pour savoir de lui en quoi consistoit le souverain bien. La plupart des princes, ou ne font pas ces questions-là, ou les font à des courtisans plutôt qu’à des philosophes ; et alors la réponse est facile à deviner. Celle de Descartes fut un peu différente : il faisoit consister le souverain bien dans la volonté toujours ferme d’être vertueux, et dans le charme de la conscience qui jouit de sa vertu. C’étoit une belle leçon de morale pour une reine ; Christine en fut si contente, qu’elle lui écrivit de sa main pour le remercier. Peu de temps après, Descartes lui envoya son Traité des passions. En 1649, la reine lui fit faire les plus vives instances pour l’engager à venir à Stockholm, et déjà elle avoit donné ordre à un de ses amiraux pour l’aller prendre et le conduire en Suède. Le philosophe, avant de quitter sa retraite, hésita long-temps : il est probable qu’il fut décidé par toutes