Page:Œuvres de Descartes, éd. Cousin, tome I.djvu/117

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plus rare que les talents, et le philosophe spéculatif n’est pas toujours philosophe pratique. Descartes fut l’un et l’autre. Dès sa jeunesse il avoit raisonné sa morale. En renversant ses opinions par le doute, il vit qu’il falloit garder des principes pour se conduire. Voici quels étoient les siens : 1o d’obéir en tout temps aux lois et aux coutumes de son pays ; 2o de n’enchaîner jamais sa liberté pour l’avenir ; 3o de se décider toujours pour les opinions modérées, parceque, dans le moral, tout ce qui est extrême est presque toujours vicieux ; 4o de travailler à se vaincre soi-même, plutôt que la fortune, parceque l’on change ses désirs plutôt que l’ordre du monde, et que rien n’est en notre pouvoir que nos pensées. Ce fut là pour ainsi dire la base de sa conduite. On voit que cet homme singulier s’étoit fait une méthode pour agir, comme il s’en fit une pour penser. Il fut de bonne heure indifférent pour la fortune, qui de son côté ne fit rien pour lui. Son bien de patrimoine n’alloit pas au-delà de six ou sept mille livres ; c’étoit être pauvre pour un homme accoutumé dans son enfance à beaucoup de besoins, et qui vouloit étudier la nature ; car il y a une foule de connoissances qu’on n’a qu’à prix d’argent. Sa médiocrité ne lui coûta point un désir. Il avoit sur les richesses un sentiment bien honnête, et que tous les cœurs ne sentiront pas : il estimoit plus mille francs de patrimoine, que dix mille livres qui lui seroient venues d’ailleurs. Jamais il ne voulut accepter de secours d’aucun particulier. Le comte d’Avaux lui envoya une somme considérable en Hollande : il la refusa. Plusieurs personnes de marque lui firent les mêmes offres : il les remercia, et se chargea de la reconnoissance, sans se charger du bienfait. C’est au public, disoit-il, à payer ce que je fais pour le public. Il se faisoit riche en diminuant sa dépense. Son habillement étoit très philosophique, et sa table très frugale. Du moment qu’il fut retiré en Hollande, il fut toujours vêtu d’un simple drap noir. À table il préféroit, comme le bon Plutarque, les légumes et les fruits à la chair des animaux. Ses après-dînées étoient