Page:Œuvres de Descartes, éd. Cousin, tome I.djvu/118

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partagées entre la conversation de ses amis et la culture de son jardin. Occupé le matin du système du monde, il alloit le soir cultiver ses fleurs. Sa santé étoit foible ; mais il en prenoit soin sans en être esclave. On sait combien les passions influent sur elle ; Descartes en étoit vivement persuadé, et il s’appliquoit sans cesse à les régler. C’est ainsi que M. de Fontenelle est parvenu à vivre près d’un siècle. Il faut avouer que ce régime ne réussit pas si bien à Descartes ; mais, écrivoit-il un jour, au lieu de trouver le moyen de conserver la vie, j’en ai trouvé un autre bien plus sûr, c’est celui de ne pas craindre la mort. Il cherchoit la solitude, autant par goût que par système. Il avoit pris pour devise ce vers d’Ovide : Benè qui latuit, benè vixit, « Vivre caché, c’est vivre heureux » ; et ces autres de Sénèque : Illi mors gravis incubat, qui notus nimis omnibus, ignotus moritur sibi, « Malheureux en mourant, qui, trop connu des autres, meurt sans se connoître lui-même. » Il devoit donc avoir une espèce d’indifférence pour la gloire, non pour la mériter, mais pour en jouir… Descartes craignoit la réputation, et s’y déroboit. Il la regardoit surtout comme un obstacle à sa liberté et à son loisir, les deux plus grands biens d’un philosophe, disoit-il. On se doute bien qu’il n’étoit pas grand parleur. Il n’eût pas brillé dans ces sociétés où l’on dit d’un ton facile des choses légères, et où l’on parcourt vingt objets sans s’arrêter sur aucun… L’habitude de méditer et de vivre seul l’avoit rendu taciturne ; mais ce qu’on ne croiroit peut-être pas, c’est qu’elle ne lui avoit rien ôté de son enjouement naturel. Il avoit toujours de la gaieté, quoiqu’il n’eût pas toujours de la joie. La philosophie n’exempte pas des fautes, mais elle apprend à les connoître et à s’en corriger. Descartes avouoit ses erreurs, sans s’apercevoir même qu’il en fût plus grand. C’est avec la même franchise qu’il sentoit son mérite, et qu’il en convenoit. On ne manquoit point d’appeler cela de la vanité ; mais s’il en avoit eu, il auroit pris plus de soin de la déguiser. Il n’avoit point assez d’orgueil pour tâcher d’être modeste. Ce sentiment, tel qu’il fût, n’étoit point à charge aux