Page:Œuvres de Descartes, éd. Cousin, tome I.djvu/81

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qu’il a d’être heureux, ses devoirs et ses foiblesses, la chaîne morale de tous ses rapports, voilà le sujet de leurs entretiens et de leurs lettres. C’est ainsi que les philosophes doivent s’entretenir avec les grands. La nature avoit destiné à Descartes un autre disciple encore plus célèbre : c’étoit la fille de Gustave-Adolphe, c’étoit la fameuse Christine (30). Elle étoit née avec une de ces âmes encore plus singulières que grandes, qui semblent jetées hors des routes ordinaires, et qui étonnent toujours, même lorsqu’on ne les admire pas. Enthousiaste du génie et des âmes fortes, le grand Condé, Descartes et Sobieski avoient droit dans son cœur aux mêmes sentiments. Viens, dit-elle à Descartes : je suis reine, et tu es philosophe ; faisons un traité ensemble : tu annonceras la vérité, et je te défendrai contre tes ennemis. Les murs de mon palais seront tes remparts. C’est donc l’espérance de trouver un abri contre la persécution qui, seule, put attirer Descartes à Stockholm. Sans ce motif, auroit-il été se fixer auprès d’un trône ? qu’est-ce qu’un homme tel que Descartes a de commun avec les rois ? Leur âme, leur caractère, leurs passions, leur langage, rien ne se ressemble ; ils ne sont pas même faits pour se rapprocher, leur grandeur se choque et se repousse. Mais s’il fut forcé par le malheur de se réfugier dans une cour, il eut du moins la gloire de n’y pas démentir sa conduite ; il y vécut tel qu’il