Page:Œuvres de Descartes, éd. Cousin, tome I.djvu/98

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sieurs secrets de la nature, et s’étoit retiré enfin en Allemagne, où il vécut solitaire dans une grotte jusqu’à l’âge de cent six ans. On se doute bien qu’il fit des prodiges pendant sa vie et après sa mort. Son histoire ne ressemble pas mal à celle d’Apollonius de Tyane. On imagina un soleil dans la grotte où il étoit enterré ; et ce soleil n’avoit d’autre fonction que celle d’éclairer son tombeau. La confrérie fondée par cet homme extraordinaire étoit, dit-on, chargée de réformer les sciences dans tout l’univers. En attendant, elle ne paroissoit pas ; et Descartes, malgré toutes ses recherches, ne put trouver un seul homme qui en fût. Il y a cependant apparence qu’elle existoit, car on en parloit beaucoup dans toute l’Allemagne ; on écrivoit pour et contre ; et même en 1623 on fit l’honneur à ces philosophes de les jouer à Paris, sur le théâtre de l’hôtel de Bourgogne. Descartes, déchu de l’espérance de trouver dans cette société quelques secours pour ses desseins, résolut désormais de se passer des livres et des savants. Il ne vouloit plus lire que dans ce qu’il appeloit le grand livre du monde, et s’occupoit à ramasser des expériences. À vingt-sept ans, il éprouva une secousse qui lui fit abandonner les mathématiques et la physique ; les unes lui paroissoient trop vides, l’autre trop incertaine. Il voulut ne plus s’occuper que de la morale ; mais à la première occasion il retournoit à l’étude de la nature. Emporté comme malgré lui, il s’enfonça de nouveau dans les sciences abstraites. Il les quitta encore pour revenir à l’homme ; il espéroit trouver plus de secours pour cette science, mais il reconnut bientôt qu’il s’étoit trompé. Il vit que dans Paris, comme à Rome et dans Venise, il y avoit encore moins de gens qui étudioient l’homme que la géométrie. Il passa trois ans dans ces alternatives, dans ce flux et reflux d’idées contraires, entraîné par son génie tantôt vers un objet, tantôt vers un autre, inquiet et tourmenté, et combattant sans cesse avec lui-même. Ce ne fut qu’à trente-deux ans que tous ces orages cessèrent. Alors il pensa sérieusement à refaire une philosophie nouvelle ; mais il résolut de ne point embrasser de secte, et de travailler