Page:Œuvres de Descartes, éd. Cousin, tome IV.djvu/87

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point un long usage. Ainsi, lorsqu’on rencontre inopinément quelque chose de fort sale en une viande qu’on mange avec appétit, la surprise de cette rencontre peut tellement changer la disposition du cerveau qu’on ne pourra plus voir par après de telle viande qu’avec horreur, au lieu qu’on la mangeait auparavant avec plaisir. Et on peut remarquer la même chose dans les bêtes ; car encore qu’elles n’aient point de raison, ni peut-être aussi aucune pensée, tous les mouvements des esprits et de la glande qui excitent en nous les passions ne laissent pas d’être en elles et d’y servir à entretenir et fortifier, non pas comme en nous, les passions, mais les mouvements (370) des nerfs et des muscles qui ont coutume de les accompagner. Ainsi, lorsqu’un chien voit une perdrix, il est naturellement porté à courir vers elle ; et lorsqu’il oit tirer un fusil, ce bruit l’incite naturellement à s’enfuir ; mais néanmoins on dresse ordinairement les chiens couchants en telle sorte que la vue d’une perdrix fait qu’ils s’arrêtent, et que le bruit qu’ils oient après, lorsqu’on tire sur elle, fait qu’ils y accourent. Or ces choses sont utiles à savoir pour donner le courage à un chacun d’étudier à régler ses passions. Car, puisqu’on peut, avec un peu d’industrie, changer les mouvements du cerveau dans les animaux dépourvus de raison, il est évident qu’on le peut encore mieux dans les hommes,