Aller au contenu

Page:Œuvres de Hégésippe Moreau (Garnier, 1864).djvu/302

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

une armure défensive entre l’épiderme d’un pied humain et le parquet. Le brave Hello courut aussitôt à la cabine de Marie-Rose, où après avoir, à grand’peine et aux éclats de rire de la jeune fille, emboîté, ficelé ses pieds nus dans cette bouffonne chaussure, il se releva, croisa triomphalement les bras sur sa poitrine, et dit : « Voilà !… » et, une heure après, la bayadère dansait encore, dansait avec un poids à chaque pied, aux applaudissements de son parterre, conquis cette fois à double titre, car il y avait dans cette danse le mérite combiné de l’art et du tour de force : c’était mademoiselle Taglioni et madame Saqui résumées d’avance en deux jambes.

Enfin, après une longue traversée, la vigie cria : Terre ! Et ce fut, je vous assure, une scène vraiment touchante que celle du matelot et de la jeune créole. (« Je penserai toujours à vous, et je garderai vos souliers comme un souvenir, comme une relique, disait Marie-Rose pour consoler Pierre Hello, qui passait sur ses yeux humides le revers de sa main calleuse. — Oh ! répondait-il en secouant la tête, vous allez à Paris, où de nouveaux amis vous feront perdre le souvenir du pauvre Hello qui ne vous occupera guère. — Toujours ! » répéta-t-elle, entraînée par sa tante. Il la suivit longtemps des yeux : elle se retourna souvent, et il ne pouvait déjà plus l’entendre qu’elle répétait encore en agitant son mouchoir : « Toujours, Hello, toujours ! »

Pierre Hello ne put savoir si la jeune fille tint parole, car il toucha bien rarement la terre, et fut tué dans la guerre d’Amérique. Quant à Marie-Rose…

Mais voici, au travers de mon histoire, le grand fleuve de la Révolution française qui passe ; fleuve étrange et qu’on ne sait