alement dépourvu d’instruction, le brave homme n’en connaissait pas le prix, et on l’eût bien étonné, je vous jure, en lui apprenant qu’une des plumes qu’il arrachait avec tant d’insouciance à l’aile de ses oies, pouvait, tombée entre des doigts habiles, bouleverser le monde. Le petit Lazare apprit vite, et avec tant d’ardeur, que l’institutrice était souvent obligée de fermer le livre la première, et de lui dire : « Assez, mon ange, assez pour aujourd’hui ; maintenant, va jouer, sois bien sage, et amuse-toi bien ». Et l’enfant d’obéir et de chevaucher à grand bruit dans la maison ou devant la porte, un bâton entre les jambes. Quelquefois l’innocente monture semblait prendre le mors aux dents. — « Mon Dieu, mon Dieu ! il va tomber », — s’écriait alors la bonne Marthe qui suivait l’écuyer des yeux ; mais elle lui voyait bientôt dompter, diriger, éperonner son manche à balai avec toute la dextérité et l’aplomb d’une vieille sorcière, et, rassurée, lui souriait de sa fenêtre comme une reine du haut de son balcon.
Cet instinct belliqueux ne fit qu’augmenter avec l’âge. Si bien qu’à dix ans, il fut nommé, d’une voix unanime, général en chef par la moitié des bambins de Montreuil qui disputaient alors, séparés en deux camps, la possession d’un nid de merle. Inutile de dire qu’il justifia cette distinction par des prodiges d’habileté et de valeur. On prétend qu’il lui arriva même de gagner quatre batailles en un jour, fait inouï dans les annales militaires. (Napoléon lui-même n’alla jamais jusqu’à trois). Mais son haut grade et ses victoires ne rendirent pas Lazare plus fier qu’auparavant, et tous les soirs le baiser filial accoutumé n’en claquait pas moins franc sur les joues de la fruitière. Mais hélas ! la guerre a des chances terribles, et un beau jour