Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/132

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Je m’esgayois au feu qui me brûloit ;
Mais, quand je voy que tu veux le contraire,
Je m’en éloigne, et, pour te satisfaire,
J’oste à mon cœur l’heur qui le consoloit.

En t’éloignant j’éloigne aussi ma vie,
Puis, toutesfois que telle est ton envie,
Je ne me plains de mourir en ce point.

Las ! je te rens entiere obeïssance,
Fors que tu veux que je ne t’aime point ;
Mais les destins m’en ostent la puissance !


LXVII


J’accompare ma dame au serpent furieux,
Que le divin Thebain surmonta par la flame ;
Ce serpent eut sept chefs, et ma cruelle dame
A sept moyens vainqueurs des hommes et des Dieux :

Le teint, le front, la main, la parole et les yeux,
Le sein et les cheveux qui retiennent mon ame ;
Avec ces sept beautez les rochers elle entame,
Et tousjours son pouvoir revient victorieux.

De chacun de ces chefs, sept autres nouveaux sortent
La mort, les traits, le feu, les desirs qui transportent,
L’espoir, la desfiance et l’aspre déconfort.

Ils sont de ce seul point différens de nature :
C’est qu’avecque du feu l’Hydre fut mis à mort,
Et l’autre de mon feu prend vie et nourriture.


LXVIII


Ma nef passe au destroit d’une mer couroucée,
Toute comble d’oubly, l’hiver à la minuict ;
Un aveugle, un enfant, sans soucy la conduit,
Desireux de la voir sous les eaux renversée.

Elle a pour chaque rame une longue pensée
Coupant, au lieu de l’eau, l’espérance qui fuit ;
Les vents de mes soupirs, effroyables de bruit,
Ont arraché la voile à leur plaisir poussée.

De pleurs une grand’pluie, et l’humide nuage
Des dedains orageux, detendent le cordage ;
Retors des propres mains d’ignorance et d’erreur

De mes astres luisants la flame est retirée,
L’art est vaincu du tans, du bruit et de l’horreur.
Las ! puis-je donc rien voir que ma perte asseurée ?